Frontenac_T1
lâendroit où nous étions, alors que partout autour, lâeau coulait à flots dâenfer. Et le plus beau, câest quâune fois nos troupes rendues de lâautre côté, lâembâcle sâest défait de lui-même. Comme ça, par enchantement. Laissant les Anglais bredouilles, incapables de nous rejoindre alors quâon sâéloignait tranquillement sous leur nez. Si câest pas un miracle, ça, je me demande bien ce que câest!
â Laissons les miracles aux théologiens si cela ne vous importune pas, monsieur Bizaillon.
Callières échangea un bref regard avec Louis. Ni lâun ni lâautre nâétait prêt à entériner la thèse du miracle. Tout au plus pouvait-on parler dâune chance inouïe, qui aurait aussi bien pu servir les Anglais que les Français. Câétaient les aléas de la guerre...
â Et où sont nos combattants, exactement? demanda Champigny, toujours pratique, supputant déjà la quantité de vivres et de munitions à envoyer à la rescousse.
â à peu près tous à la rivière Chazi, monseigneur. à environ une lieue de lâembouchure du Richelieu. Ils manquent de tout. Nos caches sont inutilisables et toutes gâtées par lâeau. Il faut leur envoyer des vivres et des munitions au plus vite. Quand je les ai quittés, il ne restait plus quâune cinquantaine de prisonniers, surtout des femmes et des enfants. Les autres sâétaient enfuis. Certains de nos hommes, les plus jeunes surtout, commençaient à flancher. La neige est si molle quâon sâenfonce à chaque pas jusquâau genou. Il faut leur envoyer des toboggans plus légers et beaucoup de renforts pour transporter les blessés.
â Je vous remercie, monsieur Bizaillon. Nous allons faire vite pour les sortir de là .
Forts de ces informations, Callières et Champigny quittèrent la pièce et sâen furent donner des ordres précis afin que les secours soient acheminés dans les plus brefs délais.
* * *
Frontenac était installé avec Callières devant le feu et venait dâenfiler coup sur coup trois coupes de vin. Lâalcool commençant à produire son effet, la douleur sâestompait dans son bras et la tension des derniers jours retombait peu à peu.
â Vous reconnaîtrez, mon cher, que câest un dur coup pour les Agniers, fit le gouverneur de Montréal sur un ton enjoué. Leur nation est dispersée à tous les vents du ciel, ils ont perdu plus de soixante-quinze de leurs meilleurs guerriers et leurs bourgades sont entièrement détruites. Nos combattants ont ramené une cinquantaine de prisonniers qui nous serviront de monnaie dâéchange en temps opportun. Quant à leurs réserves de maïs, elles sont inutilisables. Ils devront désormais compter sur lâaide des autres cantons ou sur celle des Anglais pour survivre. De quoi les calmer pour un bon bout de temps et les forcer à prendre plus au sérieux nos offres de paix. Jamais une tribu iroquoise nâaura été frappée aussi durement. Ni Tracy, ni Courcelle, ni La Barre, ni Denonville nâont pu faire aussi bien lors des opérations précédentes. Nos Indiens alliés eux-mêmes, pourtant habitués à ce genre dâattaques-surprises, nây sont pas davantage parvenus. Cette victoire va sûrement les rassurer sur notre capacité de combattre lâIroquois et devrait solidifier notre alliance avec eux. Quant à nos pertes en hommes, elles sont, au bout du compte, moins importantes que prévu. Me concéderez-vous enfin, mon cher comte, que ce type dâexpédition peut sâavérer dâun bon rapport et que câest sur ce genre dâintervention, beaucoup plus massive toutefois, quâil faudra à lâavenir concentrer nos efforts?
à son corps défendant et malgré ce quâil avait toujours prétendu, Louis se voyait forcé de donner en partie raison à son compère. Il mit pourtant un certain temps à répondre.
Maintenant que tous les hommes étaient rentrés à Montréal, il devait reconnaître que le décompte sâavérait moins tragique que prévu : on dénombrait treize morts dont sept soldats, deux miliciens et quatre sauvages, ainsi que quelque quinze blessés, dont six gravement. Ces derniers avaient
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