Furia Azteca
du tout peur.
Je n'ai pas de mal à me rappeler cette nuit, car, pour la première fois, on m'avait permis d'assister à une cérémonie qui comportait un sacrifice humain. Ce n'était qu'un rite mineur, en hommage à une divinité très secondaire : Atlaua, le dieu des oiseleurs. (A cette époque, le lac Xaltocan grouillait de canards et d'oies qui, pendant la migration, s'arrêtaient là pour se reposer et se nourrir - et nous nourrir.) Donc, par cette nuit de pleine lune, au début de la saison du gibier d'eau, un homme devait être rituellement exécuté pour la plus grande gloire du dieu Atlaua.
Pour une fois, l'homme n'était pas un prisonnier de guerre allant vers sa Mort Fleurie avec exaltation ou résignation, mais un volontaire à l'aspect assez pitoyable. " Je suis déjà mort ", avait-il déclaré aux prêtres. " Je suffoque comme un poisson hors de l'eau. Ma poitrine réclame davantage d'air, mais l'air ne me nourrit plus. Mes membres faiblissent, ma vue s'obscurcit, ma tête tourne. Je tombe et m'évanouis. J'aimerais mieux mourir tout de suite plutôt
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que de m'échouer comme un poisson, pour finir par m'étrangler. "
Cet homme était un esclave venu de la nation Chinan-teca, loin vers le sud.
Ces gens étaient et sont encore la proie d'une curieuse maladie qui semble frapper certaines de leurs familles. Nous l'appelons, ainsi qu'eux-mêmes, la Maladie Peinte et vous les Espagnols donnez maintenant aux Chinanteca le nom de Peuple Peint, parce que celui qui en est affligé devient d'un bleu livide. Son corps se trouve peu à peu dans l'impossibilité de faire usage de l'air qu'il respire et il meurt donc d'étouffement, exactement comme un poisson sorti de son élément naturel.
Mon père et moi arriv‚mes au bord du lac, à l'endroit o˘ deux solides pieux étaient enfoncés à quelque distance. La nuit était éclairée par des torches et enfumée par l'encens qu'on faisait br˚ler. Dans cette brume, les prêtres d'Atlaua : des vieillards tout noirs, vêtus de robes noires, le visage noirci et leurs longs cheveux enduits de oxitl, le goudron noir tiré du pin dont nos oiseleurs se barbouillent les jambes et le bas du corps pour se protéger du froid quand ils vont dans les eaux du lac. Deux prêtres serinaient une musique rituelle sur des fl˚tes fabriquées dans des tibias humains, pendant qu'un autre frappait sur un tambour. C'était un tambour spécialement adapté à l'occasion : une courge géante séchée, en partie remplie d'eau pour qu'elle puisse flotter, à moitié submergée, dans les bas-fonds du lac.
On conduisit le xochimiqui, le futur sacrifié, dans le cercle de la lumière fumeuse. Il était nu, il ne portait même pas le maxtlatl rudimentaire qui, d'ordinaire, ceint les hanches et les parties génitales. Même dans la lumière vacillante, je me rendais compte que la chair de son corps n'était pas parsemée de bleu, mais qu'elle était d'un bleu livide tacheté ça et là
de couleur chair. Il était écartelé entre les deux pieux, une cheville et un poignet attachés à chaque poteau. Un prêtre, balançant sa flèche, comme un chef de chour son b‚ton, psalmodiait une incantation :
" Nous t'offrons le flux vital de cet homme, Atlaua, mêlé à l'eau nourricière de notre bien-aimé lac Xaltoc‚n.
Nous te le donnons, Atlaua, afin qu'en retour, tu daignes envoyer tes bardes d'oiseaux dans les rets de nos oiseleurs... " Et ainsi de suite.
Cela dura assez longtemps pour me lasser et peut-être Atlaua aussi. Puis, sans aucun avertissement, ni aucun signe rituel, le prêtre abaissa soudain sa flèche, la pointa ensuite de toute sa force vers le ciel et la vrilla dans les parties génitales de l'homme bleu. quel qu'ait été son désir d'être débarrassé de la vie, la victime poussa un cri. L'homme hurla, ulula un cri qui couvrit le son des fl˚tes, du tambour et des chants. Il cria, mais il ne devait plus crier longtemps.
De sa flèche ensanglantée, le prêtre traça une croix sur la poitrine de l'homme, en fait de cible et tous les prêtres caracolèrent en cercle autour de lui, chacun ayant un arc et de nombreuses flèches. Lorsqu'ils passaient devant le xochimiqui, ils plongeaient une flèche dans la poitrine pantelante de l'homme bleu. Une fois ce manège terminé et les flèches épuisées, le mort ressemblait à un spécimen agrandi de cet ahimal que nous appelons le petit ours hérissé. La cérémonie prit fin. On délia le corps des poteaux et on l'attacha
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