Galaad et le Roi Pêcheur
homme avait au front des lettres qui disaient : « Voici Joseph, premier évêque de ce royaume, que Notre Seigneur consacra au Palais Spirituel, en la cité de Sarras. » Les chevaliers avaient beau déchiffrer ces lettres sans difficulté, ils se demandaient avec surprise ce qu’elles pouvaient bien signifier, puisque le Joseph dont elles parlaient était mort depuis bien des siècles.
Ils en étaient là, tout perplexes, quand ils aperçurent une table d’argent qui, comme portée par des mains invisibles, semblait voler dans les airs. Et, sur cette table, il y avait une magnifique coupe d’émeraude d’où émanait une lumière si puissante qu’ils en furent tout éblouis. Puis, toujours portée par des mains invisibles, une lance apparut qui vint se poser sur la table. Et chacun put voir que des gouttes de sang coulaient de sa pointe. Sur ce, l’homme en habit d’évêque se mit à parler : « Ah ! chevaliers ! ne vous étonnez pas de me voir devant vous comme je suis devant la coupe sainte. De même que je l’ai servie durant toute ma vie terrestre, je continue à la servir en tant qu’esprit. »
Il se leva, s’approcha de la table d’argent et se prosterna, coudes et genoux au sol. Puis il se redressa, prit la lance et en plongea le fer dans la coupe d’émeraude avant de la redéposer sur la table d’argent. Ensuite, il procéda comme pour célébrer une messe. Au bout d’un moment, il prit dans la coupe une hostie faite en semblance de pain et, lorsqu’il l’éleva, il sembla à toute l’assistance qu’elle prenait la forme d’un enfant au visage rouge et embrasé. Joseph la tint un instant en l’air puis la remit à l’intérieur de la coupe. Enfin, quand il eut accompli tous les gestes et prononcé toutes les paroles qui incombent à un prêtre célébrant la messe, il se tourna vers Galaad, lui donna un baiser et le pria de baiser à son tour ses frères, les compagnons de la quête. Galaad obéit.
Joseph reprit alors la parole. « Chevaliers de Jésus-Christ, dit-il, vous qui avez subi peines et souffrances pour contempler une partie des merveilles du saint Graal, asseyez-vous à cette table. Vous y serez nourris, de la main même de notre Sauveur, de la meilleure nourriture qu’ait jamais goûtée chevalier… Et vous pourrez dire que votre peine n’est pas perdue, puisqu’elle vous aura valu la plus haute récompense du monde. » Après avoir ainsi parlé, Joseph disparut sans qu’on pût savoir ce qu’il était devenu. Les chevaliers s’assirent alors à la table, non sans grande frayeur, et le visage inondé de larmes.
Ils virent alors émerger de la coupe un homme entièrement nu dont les pieds, les mains et la poitrine saignaient. Et cet homme leur dit : « Mes chevaliers, mes fidèles, mes enfants, vous qui, dans cette vie mortelle, êtes devenus créatures spirituelles après m’avoir tant cherché, je ne puis plus me cacher à vos yeux. Je veux que vous puissiez voir une part de mes mystères et de mes secrets, puisque vos exploits et votre persévérance vous ont menés jusqu’à cette table où nul chevalier ne s’était assis depuis l’époque de Joseph d’Arimathie. Pour les autres, ils en ont eu la part qui revient aux bons serviteurs, c’est-à-dire qu’ils ont été nourris par la grâce de cette sainte coupe. Mais ils ne l’ont pas eue aussi directement que vous l’aurez vous-mêmes maintenant. Recevez donc la haute nourriture que vous désiriez depuis si longtemps et pour laquelle vous avez subi tant de souffrances. »
Il prit la coupe et s’approcha de Galaad. Celui-ci s’agenouilla en joignant les mains, et ses compagnons firent de même, afin de recevoir en leur bouche, des mains mêmes du Sauveur, l’hostie que le commun des humains ne peut recevoir que des mains d’un prêtre. Mais seuls les douze chevaliers eurent cet honneur : le Roi Pêcheur, qui gisait sur sa couche et qui regardait avec ravissement, paraissait complètement étranger à la scène qui se déroulait sous ses yeux.
Quand ils eurent tous reçu l’hostie, celui qui les avait nourris dit à Galaad : « Fils, toi qui es aussi pur que peut l’être un homme terrestre, sais-tu ce que je tiens dans mes mains ? – Non, répondit Galaad, je l’ignore. – Je vais te le révéler : cette coupe est creusée dans l’émeraude qui jadis ornait le front du Porte-Lumière, avant qu’il ne tombât dans l’abîme d’enfer où son orgueil le précipita.
Weitere Kostenlose Bücher