Galaad et le Roi Pêcheur
témoins, convenez que je l’ai expiée assez durement. Si vous êtes des hommes au cœur loyal, délivrez-moi, je vous en conjure, au nom même de la chevalerie à laquelle nous appartenons. Mais non, hélas, j’ai parcouru monts et vallées, j’ai rompu lance sur lance en de nombreux combats, j’ai manié l’épée de telle sorte que les ennemis fuyaient à mon approche et vous ne m’en savez nul gré !
« Hélas ! je suis banni du royaume de la joie. Mais, au jour du Jugement, j’élèverai ma plainte contre vous tous, et votre perdition est assurée si vous ne consentez que je meure. Pourtant, ma misère devrait vous emplir de compassion ! Que vous ayez, de vos yeux, vu mon malheur ou bien qu’on vous ait conté comment j’ai reçu le Coup Douloureux, comment pouvez-vous encore me juger digne d’être votre seigneur ? Je suis incapable de gouverner sagement ce royaume ! Et, sachant que cette terre est devenue stérile à cause de ma blessure, comment pouvez-vous tolérer cela ? »
Ainsi se plaignait le roi Pellès. Les chevaliers l’écoutaient en pleurant, navrés et désolés que ses souffrances fussent insupportables. Et ils l’en auraient volontiers délivré s’ils n’avaient eu la certitude qu’un jour viendrait celui qui poserait la question essentielle et, ce faisant, guérirait la blessure.
Pendant cette période, il arrivait donc à Pellès de demeurer prostré quatre jours entiers, les yeux obstinément fermés. On le portait alors devant le Graal et, là, sa faiblesse le contraignait à ouvrir les yeux. La contemplation de la sainte coupe le réconfortait un instant mais, quand on le ramenait dans sa chambre, ses douleurs redoublaient, et par là même ses lamentations.
Quand cet amer et poignant supplice lui infligeait ce tourment mortel, on répandait des parfums dans l’air pour chasser l’odeur de la plaie. Le tapis, devant le roi, était jonché d’épices, d’essences de térébinthe, de bois odorants et d’aromates de toute espèce. On plaçait aussi à côté de lui de l’ambre gris acheté à grands frais. L’odeur en était agréable. Et, de tous côtés, on foulait aux pieds des brins de girofle, de muscade et de thériaque, de sorte qu’à chaque pas se combattait la puanteur âcre de la gangrène. Enfin, dans la grande cheminée, brûlait en permanence du bois d’aloès.
Les montants du lit de sangle sur lequel gisait le roi étaient en corne de vipère et, pour éviter que l’odeur du poison ne le suffoquât, on répandait sur les coussins des poudres de plantes aromatiques. La couverture sur laquelle il était étendu était taillée dans un somptueux tissu de soie brodé d’or. Son lit était en outre serti de pierres précieuses multicolores, rubis, topazes, émeraudes, béryls et bien d’autres encore, venues de tous les pays du monde. Certaines ayant la vertu d’inspirer l’allégresse, d’autres celle d’apporter le bonheur et la guérison, celui qui savait en user avec art pouvait y puiser bien des forces secrètes. Ainsi, grâce à elles, maintenait-on Pellès en vie durant les journées de l’année qui lui étaient les plus pénibles et les plus douloureuses.
L’accablement était précisément à son comble dans la forteresse quand survint celle qu’on nommait tantôt la Demoiselle Chauve et tantôt la Demoiselle au Char. Elle descendit de sa mule au trot allègre devant le manoir où gisait le Roi Pêcheur. On la fit entrer et on la mena près du roi. Elle dit alors : « Roi Pellès, regarde-moi, je t’en prie. » Le roi souleva la tête et, ouvrant les yeux, fut abasourdi par la chevelure magnifique qui ornait la tête de la jeune fille. « Oui, roi Pellès, dit-elle, me revoici telle que j’étais jadis. Reprends courage, car trois chevaliers se dirigent vers Corbénic : l’un d’eux est ton neveu, celui qui n’avait pas posé de question lors de son passage ici ; le deuxième est le cousin de Lancelot que tu connais pour l’avoir déjà accueilli ici ; quant au troisième, il est celui que tu attendais avec tant d’impatience, car il a maintenant le pouvoir de guérir ta blessure. »
Quand ceux de la forteresse apprirent que la Demoiselle Chauve avait recouvré sa chevelure et qu’elle venait d’annoncer l’arrivée du Bon Chevalier, l’espoir triompha dans les cœurs. Et ils se disaient les uns aux autres : « Nos peines vont prendre fin. Voici que s’approche celui que nous avons tant désiré depuis
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