Galaad et le Roi Pêcheur
que la douleur nous tient enserrés dans ses liens. Une grande joie nous attend, et nous ne saurions assez faire pour que ce jour-ci soit celui du bonheur pour notre roi et pour nous-mêmes. »
C’est ainsi que Galaad, Perceval et Bohort, qui s’étaient retrouvés sur les rivages de l’estuaire, firent leur entrée à Corbénic. Dès qu’ils furent à l’intérieur de la forteresse, ils furent entourés par une foule nombreuse de chevaliers, de pages, d’écuyers, de sergents et de valets qui leur souhaitaient la bienvenue. On les conduisit au manoir et là, après les avoir désarmés, on leur apporta de riches vêtements taillés dans une même étoffe. Lorsqu’ils furent ainsi parés, on les mena dans la grande salle et on les fit asseoir, tandis que les chevaliers prenaient place autour d’eux. Et on leur servit un vin délicieux dans des coupes d’or {65} .
Or, vers le soir, le temps changea et s’obscurcit brusquement. Un grand vent se leva, qui pénétra dans la salle, bouleversant tout sur son passage, et si chaud que plusieurs chevaliers s’en crurent brûlés tandis que d’autres cédaient à la terreur. Et l’on entendit une voix qui disait : « Que ceux qui ne doivent pas s’asseoir à la table du saint Graal sortent d’ici, car voici venu le temps où les vrais chevaliers de Dieu seront nourris de ce qu’ils ont toujours désiré. »
À ces mots, tous se levèrent et quittèrent la salle, hormis le fils du roi Pellès et une jeune fille, celle-là qui portait le Graal depuis que la fille du Roi Pêcheur avait conçu Galaad. Avec eux demeurèrent les trois compagnons, curieux des prodiges qui allaient se manifester. Quelques instants plus tard, ils virent entrer par la porte neuf chevaliers armés qui, après avoir retiré leurs heaumes et leurs hauberts, s’inclinèrent devant Galaad et lui dirent : « Seigneur, nous sommes venus en grande hâte pour nous asseoir avec toi à la table où nous sera donnée la céleste nourriture. » Galaad leur répondit qu’ils arrivaient à temps puisque lui-même et ses deux compagnons les avaient précédés de fort peu. Tous s’étant assis, il leur demanda d’où ils venaient. Trois d’entre eux répondirent qu’ils arrivaient de la Gaule, trois de l’Irlande, les trois derniers du Danemark.
Tandis qu’ils parlaient, ils virent sortir d’une chambre un lit de sangle porté par quatre jeunes filles et sur lequel gisait un homme qui semblait tout meurtri et qui arborait une couronne d’or. Perceval et Bohort reconnurent aussitôt en lui le Roi Pêcheur. Quant à Galaad, bien que le blessé fût son grand-père, il le voyait en quelque sorte pour la première fois, puisque, à peine né, on l’avait emmené pour l’élever loin de Corbénic. Les jeunes filles déposèrent doucement le lit au milieu de la salle et se retirèrent. Le Roi Pêcheur leva alors la tête et dit à Galaad : « Sois le bienvenu, Bon Chevalier. Plongé dans une souffrance telle que nul autre homme n’en a connue, j’ai ardemment désiré ta venue. Mais, s’il plaît à Dieu, voici venu le temps où je cesserai de souffrir et où ce malheureux royaume sera rendu à sa plénitude. »
Sur ce, Perceval se leva, alla s’incliner devant le lit où gisait le Roi Pêcheur, et il dit doucement : « Mon oncle, de quoi souffres-tu ? » {66} Le visage du roi s’éclaira d’une grande joie. « Enfin ! murmura-t-il. Voilà bien longtemps que tu aurais dû me poser cette question, Perceval, mon neveu, fils de ma sœur. Je souffre d’une blessure qui m’a été infligée par une lance, la lance que tu as déjà vue et dont la pointe dégoutte de sang. » À ce moment, le vent se mit de nouveau à tourbillonner dans la salle, aussi chaud que la première fois, et la même voix ébranla les airs, disant : « Que ceux qui n’ont pas été compagnons de la quête sortent d’ici : ils n’ont pas droit d’y demeurer plus longtemps. » Aussitôt, le fils du roi Pellès et la jeune fille quittèrent la salle. Seul y resta le Roi Pêcheur, entouré de ceux qui se reconnaissaient comme compagnons de la quête.
Ils respectèrent un long moment le plus grand silence, dans la pénombre, car la nuit devenait en plus en plus obscure. Alors, comme ils se demandaient ce qui allait se passer, ils crurent voir descendre du ciel un homme en habit d’évêque, la crosse à la main et la mitre en tête. Quatre anges semblaient le porter sur un siège splendide. Cet
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