Galaad et le Roi Pêcheur
Dieu des chrétiens, le priant humblement, s’il avait autant de pouvoir et de force que d’aucuns le disent, de me rendre la vue. Et je lui promis, au cas où il le ferait, de croire en lui très sincèrement et pour toute ma vie. Là-dessus, je m’endormis.
« Pendant mon sommeil, je fus visitée par un songe. Je rêvai que je voyais une dame de grande beauté mettre au monde un enfant en ces lieux mêmes. Elle était nimbée d’une clarté comparable à celle du soleil. Quant au nouveau-né, qui était beau, charmant et de douce apparence, il était entouré de créatures magnifiques dotées d’ailes, comme les oiseaux, et qui se livraient à des transports d’allégresse. Aussi longtemps que dura ma vision, je fus plongée dans le ravissement, mais mon rêve changea brutalement : je vis qu’on liait un homme à un poteau, qu’on le fouettait rudement de verges, si rudement même que le sang lui giclait de partout. Ses bourreaux n’avaient aucune pitié de lui ; moi, je ne pouvais m’empêcher de verser des larmes. Puis je vis qu’on l’attachait à une croix, qu’on lui clouait les mains et les pieds, qu’on lui transperçait la poitrine avec une lance et que son sang coulait abondamment. Je vis aussi un homme d’aspect vénérable qui recueillait ce sang dans une coupe d’émeraude. Et je sanglotais si fort dans mon rêve que je finis par m’éveiller. Alors, je m’aperçus que je voyais aussi bien et aussi nettement qu’autrefois. Voilà, seigneurs, je vous ai dit la vérité : mes dieux ont été impuissants à me rendre la vue, mais le Dieu des chrétiens a eu pitié de moi, quoique je fusse son ennemie. »
Un grand brouhaha parcourut la salle. Les vassaux de la reine n’en revenaient pas de pareille merveille, mais ils étaient tous très émus en pensant que le Dieu des chrétiens avait eu pitié d’une femme dont la haine s’était acharnée si longtemps contre ceux et celles qui croyaient en lui. « Voilà pourquoi, reprit la reine, je désire que vous renonciez à ce que vous avez adoré jusqu’à présent et que vous reconnaissiez le Dieu des chrétiens comme le vrai dieu de lumière. Quant à ceux qui refuseraient de se convertir, je les ferai mourir dans des supplices ignominieux. »
C’est ainsi que la reine Jandrée se fit baptiser, et que ses vassaux l’imitèrent, car ils n’avaient nulle envie d’être massacrés. Quant à Galaad, Bohort et Perceval, ils avaient regagné leur nef, et celle-ci, dès qu’ils furent montés à bord, s’éloigna du rivage et vogua bientôt en pleine mer {72} .
Ils errèrent longtemps au gré des flots. Mais Galaad avait l’air triste. On l’eût dit obsédé par une pensée douloureuse. Il restait des heures durant à l’arrière de la nef, à genoux la plupart du temps, parfois assis, mais les yeux toujours perdus dans le vague et comme aveugle au monde environnant. Ce comportement commençant à l’inquiéter, Perceval se résolut à l’interroger, au nom de leur compagnonnage, sur cet étrange chagrin. « Ah ! Perceval, mon ami ! répondit Galaad, je vais te dire la vérité. L’autre jour, quand nous vîmes une partie des merveilles du saint Graal que Notre Seigneur nous montrait par amour et compassion, je contemplais les choses secrètes qui ne sont dévoilées qu’aux seuls fidèles de Jésus-Christ. Or, tandis que je voyais ce que nul esprit d’homme terrestre ne saurait même imaginer, ce que nulle parole humaine ne saurait décrire, mon cœur fut pénétré d’une telle joie et d’une telle suavité que si j’étais mort à cet instant-là, hélas, jamais mortel n’eût connu de trépas plus heureux ! Je t’assure, Perceval, devant moi se pressait une telle affluence d’anges – et ce, au sein d’une si prodigieuse abondance de biens spirituels ! – que je me crus transporté de la vie terrestre à la vie céleste, dans la joie et la gloire de Dieu. Et je puis te l’avouer, Perceval, je n’ai qu’un espoir, quitter ce monde le plus tôt possible, si Dieu le veut, en contemplant les merveilles du saint Graal ! » Extrêmement troublé par ces révélations, Perceval n’en laissa rien paraître, de peur de gêner le rêve de son compagnon. Mais, en lui-même, il se disait que Galaad n’était pas tout à fait un être humain, qu’il était peut-être un ange que Dieu leur avait envoyé pour les guider vers les plus hauts mystères de ce monde.
Dans la nef, se trouvait un lit, celui-là
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