Galaad et le Roi Pêcheur
d’émeraude. Galaad demeura immobile un instant, comme attentif à des paroles inaudibles pour ses compagnons, puis il se releva et, se retournant vers Perceval : « Perceval, dit-il, c’est maintenant à toi de garder les merveilles. » Et il l’embrassa. Il alla ensuite vers Bohort et, après l’avoir tendrement embrassé, lui murmura doucement : « Bohort, salue pour moi mon père Lancelot quand tu le reverras. » Enfin, il revint vers la table et se prosterna, coudes et genoux à terre. Il n’y était pas depuis longtemps qu’il tomba, la face contre les dalles, car déjà son âme avait quitté son corps. Bohort et Perceval virent alors une grande merveille : une éclatante lumière entoura le corps de Galaad, et dans cette lumière ils aperçurent une main descendue du ciel sans qu’on aperçût l’être auquel elle appartenait. Et cette main alla droit sur la coupe d’émeraude, la saisit et l’emporta. La lumière disparut alors. Bohort et Perceval se retrouvèrent seuls dans la grande salle du Palais Spirituel, face à la table d’argent devant laquelle gisait Galaad. Et, sur la table, ils ne virent plus le saint Graal.
Quand ils comprirent que Galaad était vraiment mort, une grande tristesse s’empara d’eux. Ils s’en allèrent porter la nouvelle au-dehors, et les gens de la cité en menèrent grand deuil. On creusa la tombe de Galaad à l’endroit même où il était mort. Lorsqu’il fut enterré, ceux de la cité se réunirent pour délibérer, et ils choisirent Perceval comme roi, lui mettant la couronne d’or sur la tête et lui demandant de les protéger. Perceval leur promit de faire pour le mieux tant que Dieu voudrait qu’il restât dans la cité de Sarras. Et, tous les jours, accompagné de Bohort, il venait prier sur la tombe de Galaad, au Palais Spirituel.
Une nuit, cependant, Perceval eut un rêve étrange qu’il raconta le lendemain à Bohort. Il naviguait, solitaire, sur une nef à travers une mer semée d’îles. Après avoir erré longtemps, il apercevait un château sur l’une des îles et, bientôt, la nef qui le portait abordait le rivage de celle-ci, juste au bas des remparts du château. Au même moment, il entendait, provenant du sommet des murailles, le son très mélodieux de quatre trompettes d’airain. Levant la tête, il voyait que ceux qui en sonnaient étaient vêtus de blanc.
Descendu à terre, il allait alors vers le château et y pénétrait. Il traversait des salles toutes plus somptueuses les unes que les autres et des cours remplies de bosquets et de massifs de fleurs. Sous un grand arbre à la vaste frondaison, il apercevait une magnifique fontaine, extraordinairement limpide, au fond de laquelle étincelait un tapis de pierres précieuses. Près de la fontaine étaient assis deux hommes qui, malgré des barbes et des cheveux plus blancs que neige, avaient des visages juvéniles. Dès qu’ils le voyaient, ils se levaient et le saluaient en l’appelant par son nom. Puis ils l’emmenaient dans une salle, la plus vaste et la plus belle de la forteresse, où se trouvaient de nombreuses tables d’or et d’ivoire.
L’un des deux hommes qui l’accompagnaient lançait alors un triple appel en sonnant du cor. Aussitôt entraient ensemble dans la salle trente-trois jeunes religieux âgés d’environ trente ans et qui, tous vêtus de blanc, portaient une croix vermeille sur la poitrine. Sitôt entrés, ceux-ci se recueillaient, battaient leur coulpe et se lavaient les mains dans un magnifique bassin d’or avant de prendre place à table. Les deux anciens faisaient asseoir Perceval tout seul, lui, à la table principale. Alors, on leur servait une nourriture qui lui paraissait délicieuse ; mais il prenait plus de plaisir à regarder autour de lui qu’à manger tant l’émerveillait ce qui l’entourait.
Il voyait soudain une chaîne d’or qui, suspendue au plafond et toute sertie de pierres précieuses au doux scintillement, comportait en son beau milieu une couronne d’or. Et voici que la chaîne se mettait à descendre, semblant ne tenir en l’air que par la volonté de Dieu. Et, aussitôt, les religieux découvraient une grande et large fosse qui se trouvait au centre de la salle, de sorte qu’il en pouvait très bien distinguer l’ouverture d’où montaient – il l’entendait parfaitement – des cris terribles et des clameurs déchirantes. Et il était fort perplexe quant à ces manifestations de douleur, lorsque la
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