Gauvain
Pêcheur.
Il entra peu après dans une vallée où verdoyaient des prairies magnifiques et où serpentaient les plus belles rivières qu’on eût jamais vues. Cependant, comme ces lieux lui étaient inconnus, il les parcourut sans s’arrêter jusqu’à une forêt si sombre et si drue que le ciel sembla se couvrir, tandis que le vent se mettait à souffler. Gauvain pressa Gringalet, car il n’avait nulle envie de se trouver à découvert lorsque éclaterait l’orage. Or, au sortir de la forêt, s’étendait une vaste lande désertique, et il hésita à poursuivre, car le vent redoublait, amoncelant des nuées noires. En dépit de l’obscurité croissante, Gauvain crut apercevoir dans le lointain la haute silhouette d’une forteresse. Il se lança donc au galop dans sa direction, espérant l’atteindre avant que la nuit fût totale. Mais, plus il avançait, moins il y voyait, plus la tempête faisait rage.
Il finit toutefois par arriver devant une chapelle où brillait une faible lumière. Le temps était devenu si mauvais, le tonnerre et la foudre se déchaînaient avec tant de fureur que, pour tout l’or du monde, Gauvain n’eût pas fait un pas de plus. Il entra donc dans la chapelle se mettre à l’abri, le temps du moins que la tempête calmée lui permît de trouver un gîte plus confortable. Aussitôt démonté, il s’approcha de l’autel sur lequel, dans un chandelier d’or, brûlait un gros cierge. Il s’agenouilla, et il priait depuis quelque temps, quand émergea, d’un trou ménagé dans le mur de gauche, une main, la plus horrible qu’il eût jamais vue : énorme et monstrueuse, elle n’avait rien d’humain. La main se saisit du cierge, l’éteignit et, aussitôt, dans les ténèbres retentit une voix si lamentable et si puissante que Gringalet, terrifié, se cabra, rua, bondit tant et si bien qu’il faillit renverser Gauvain. Se précipitant au-dehors, celui-ci reprit sa course folle dans la tempête.
La vaste lande traversée, il pénétra dans une vallée étroite. Le vent parut se calmer, les nuages se dissipèrent un peu, et une espèce de clarté diffuse permit d’entrevoir les contours des choses. Au flanc d’une colline, Gauvain discerna la masse sombre d’une forteresse. Il marchait désormais sur une chaussée qui semblait le mener tout droit vers celle-ci. Plein d’espoir, il forçait l’allure quand, sur le bas-côté, il aperçut un tombeau magnifique scellé d’une dalle de grande beauté. De la proximité du château, Gauvain déduisit l’existence en ces lieux d’un petit cimetière. Tenaillé par la curiosité de lire l’épitaphe, il ne résista guère et, faisant arrêter Gringalet, mit pied à terre. Un enclos cernait bien le tombeau, mais on n’y voyait pas d’autres sépultures. Or, comme Gauvain s’aventurait plus avant, une voix s’éleva, qui dit d’un ton sévère : « Chevalier, n’approche pas de cette tombe ! Tu n’es pas l’homme grâce auquel on apprendra le nom de celui qui gît là. » Sans comprendre d’où surgissait la voix, Gauvain se garda d’insister et, menant son cheval par la bride, se dirigea vers l’entrée du château.
Lui apparurent alors trois ponts successifs, aussi bizarres que terrifiants, sous lesquels bouillonnaient trois puissants torrents parallèles. Le premier pont, apparemment long d’une portée d’arc mais large de moins d’un pied, lui sembla bien étroit pour franchir des flots si vastes, rapides et profonds. « Que faire ? se dit-il. Je doute qu’il soit possible de le passer à pied ou à cheval. » Or, voici que sortit du château un vénérable chevalier qui, de l’autre bord, interpella rudement Gauvain : « Seigneur chevalier ! hâte-toi de passer, car le jour s’achève, et l’on t’attend au château ! – Mais, dit Gauvain, comment le pourrais-je ? – Ma foi, répondit le chevalier, je ne sais pas d’autre passage que celui-ci. Si tu veux vraiment venir jusqu’ici, il faudra bien te résigner à l’emprunter ! » Et, sur ces mots, il réintégra le château et disparut.
Se reprochant son hésitation, Gauvain se dit qu’il ne perdrait rien à tenter l’épreuve. Il remonta sur Gringalet et, l’éperonnant doucement, le fit avancer. Or il s’aperçut que, plus il avançait, plus le pont paraissait s’élargir. Fort étonné de ce prodige, il se réjouit grandement de trouver si large le pont qu’il avait d’abord cru trop étroit. Cependant, à peine
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