Gauvain
rien à craindre avant demain. Jamais sans doute tu n’auras été hébergé avec plus de magnificence et de marques de respect que tu le seras cette nuit. »
Gauvain se dit qu’après tout il ne risquait rien. Il était las et n’était pas fâché de prendre du repos au milieu de ce luxe. Il commença donc à ôter son armure avec l’aide du nain, puis il déposa le tout à côté du lit. Quant à son épée, à sa lance et à son bouclier, il les disposa sur le sol à l’intérieur de la tente, afin de les avoir immédiatement à sa disposition, le cas échéant. Là-dessus, le nain apporta deux bassins d’argent et une serviette blanche, et il invita Gauvain à se laver les mains et le visage. Puis il ouvrit un très beau coffre et en retira un habit taillé dans un drap tissé de fils d’or et de soie, et fourré d’hermine. Il le tendit à Gauvain en le priant de s’en revêtir.
« Seigneur, dit le nain, n’aie pas d’inquiétude pour ton cheval. Tu le retrouveras demain matin, à ton lever. Je vais l’emmener non loin d’ici qu’il soit bien installé, avec de l’avoine et de la paille fraîche. Et je reviendrai aussitôt te servir. » Gauvain, qui ne se méfiait plus, lui signifia d’un geste son assentiment.
À ce moment, deux écuyers entrèrent, apportant du vin et des plats, et prièrent Gauvain de s’asseoir à table. Puis, après avoir allumé deux grands flambeaux dans deux chandeliers d’or, ils se retirèrent. Gauvain se mit à manger, tout heureux de se restaurer après son épuisant voyage. Mais, pendant son repas, deux jeunes filles pénétrèrent dans la tente. Elles le saluèrent avec beaucoup de déférence, et il répondit le plus aimablement qu’il put.
« Seigneur, dit l’une des jeunes filles, que Dieu te donne demain le pouvoir et la force de mettre fin à la détestable coutume qui est liée à cette tente ! – Il y a donc une coutume ici, et de plus une coutume détestable ? – Oui, seigneur, et particulièrement odieuse. Elle nous pèse beaucoup. Mais ton aspect dénote assez de vaillance pour mettre fin à cette situation. »
Son repas terminé, Gauvain quitta la table, qu’un écuyer s’empressa de débarrasser. Alors, le prenant par la main, les jeunes filles le conduisirent hors de la tente, et ils s’assirent sur l’herbe tendre. « Seigneur, dit celle qui paraissait l’aînée, quel est ton nom ? – Chères amies, je suis Gauvain, le neveu du roi Arthur. – À parler vrai, nous sommes très flattées de cette parenté, et nous ne t’en apprécions que davantage et mieux. Nous sommes certaines que la cruelle coutume liée à cette tente sera abolie demain, à condition toutefois que tu choisisses pour cette nuit celle de nous que tu préfères. » Gauvain se leva. « Jeunes filles, dit-il, grand merci. » Et, comme il était très fatigué, il rentra dans la tente et se dirigea vers le lit. Les jeunes filles le suivirent et l’aidèrent à se coucher. Une fois qu’il fut sous les draps, elles s’assirent devant lui après avoir allumé le cierge, et, s’appuyant sur le lit, elles lui offrirent leurs services en insistant effrontément. Mais Gauvain ne leur répondit rien d’autre que « grand merci » car, malgré la beauté et les mines aguichantes des jeunes filles, il ne pensait qu’à se reposer et à dormir.
« Par Dieu tout-puissant ! dit l’une des jeunes filles à l’autre, si cet homme était vraiment Gauvain, le neveu du roi Arthur, il nous parlerait tout autrement, et nous trouverions auprès de lui plus de plaisir que ne nous en offre celui-ci ! Il n’est sûrement pas Gauvain. Nous avons eu grand tort de lui réserver un si bel accueil dans cette tente, alors qu’il nous méprise ainsi ! – Peu importe, dit sa compagne, il lui faudra bien payer son écot, demain ! »
Aussitôt que le nain rentra dans la tente : « Ami, lui dirent-elles, monte la garde auprès de ce chevalier, et surtout, empêche-le de fuir ! Comment peut-il aller de demeure en demeure en trompant de la sorte les gens ? Il se fait appeler Gauvain parce qu’il sait de quelle réputation jouit le neveu du roi Arthur. Mais il ne lui ressemble guère. Si nous avions proposé au véritable Gauvain de veiller avec nous pendant trois nuits de suite, il nous aurait proposé de veiller quatre nuits au moins ! – Ne vous inquiétez pas, dit le nain. Il ne pourra s’enfuir, à moins de partir à pied, car son cheval est sous ma garde,
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