Gauvain
ses vassaux, et ils n’avaient pas manqué de lui obéir. Ayant fait dresser sa tente dans la prairie, le roi se disposait à regarder jouter.
Le nain conduisit Méraugis jusqu’au centre de l’assemblée. Devant la tente, ils reconnurent le roi Amangon. À ses côtés se tenait la reine, assise sur un banc de pierre. Méraugis vit aussi une trentaine de chevaliers bien armés qui devaient être de puissants barons ; mais un seul d’entre eux se trouvait en selle, la lance au poing droit, le bouclier dans la main gauche et la visière du heaume abaissée. À l’évidence, rien ne lui manquait, et il attendait le moment de se battre.
Quand Méraugis fut devant le roi, le nain saisit son cheval par les rênes et dit d’une voix forte, afin d’être entendu de tous : « Roi Amangon, voici mon champion. Rends-moi justice ! – Bien volontiers », répondit le roi. À ces mots, le guerrier qui était armé de pied en cap sortit du groupe des trente chevaliers et se présenta devant le roi. « Nain, dit le roi, ce chevalier est déjà en selle et semble tout prêt à se défendre. Que décides-tu ? – Ma décision est déjà prise depuis longtemps, répondit le nain. Mon champion n’acceptera, je pense, aucun accord ni aucune discussion sur cette affaire. – Puisqu’il en est ainsi, dit le roi, et que tu te montres impitoyable, qu’ils aillent se battre tous deux. Nous n’y pouvons rien. »
Méraugis pensait réellement devenir fou. Voyant qu’il devait nécessairement aller au combat pour défendre une cause dont il ignorait jusqu’au premier mot, il se disait en lui-même : « Quel sot je fais de m’être fié à ce nain ! Le seul aspect positif des choses, c’est que mon honneur sera garanti. » Puis il dit tout haut au nain : « Voilà donc ce que tu m’as promis ? – Je m’en suis remis à toi, dit le nain. Mais n’aie aucune crainte : je ne conclurai aucun arrangement qui soit contraire à ton honneur. »
Comme force était de se résigner, Méraugis éperonna sa monture, et son adversaire se rua contre lui. Le premier choc fut brutal ; les tronçons de lances volèrent en éclats vers le ciel, mais les deux hommes redoublèrent d’énergie, se frappant de leurs épées nues si violemment que leurs heaumes se fendirent et jetèrent des étincelles. Le chevalier était brave et courageux, mais Méraugis l’était encore davantage ; et les barons, sans cacher leur surprise, se demandaient où le nain avait trouvé un tel champion. Finalement, Méraugis plaqua son adversaire au sol, et il s’apprêtait à lui couper la tête. « Je reconnais ma défaite, dit l’autre. C’est maintenant à toi de les marier, seigneur ! »
Méraugis comprenait de moins en moins ce qui lui arrivait. Le roi s’approcha de lui. « Chevalier, dit-il, tu es incontestablement le vainqueur de cette joute. Le prix que détenait ton adversaire te revient de droit. Plus de cent jeunes filles de grande beauté attendent maintenant que tu les maries. » De plus en plus perplexe, Méraugis demanda au roi : « Mais qu’est-ce que cela veut dire ? – Tu ne connais donc pas l’origine et le but de cette assemblée ? – Certes, non », répondit Méraugis.
— Je vais tout te raconter, dit le roi. De tout temps, dans ce royaume, la coutume a exigé que ce même jour, chaque année, tous mes barons, quels qu’ils soient, mènent leurs filles, s’ils en ont, à cette fête. Elles sont réunies ici afin d’y trouver mari. Mais la coutume veut aussi que le privilège de les marier revienne au chevalier le plus valeureux de ceux qui sont rassemblés autour de moi, et ce privilège dure d’une année sur l’autre, tant qu’aucun autre chevalier n’a réussi à vaincre celui qui le détient de droit. C’est pourquoi tu vois ici autant de preux chevaliers. Mais ils n’osent parfois pas affronter celui qui se révèle le meilleur jouteur. Pourtant, l’honneur est grand pour celui qui peut marier les jeunes filles selon son gré et les donner en partage aux chevaliers de son choix. Mais, attention, pour que sa réputation demeure intacte, il doit éviter de leur imposer une mésalliance. Quant à lui-même, s’il se trouve qu’il n’ait pas d’amie, il prend qui lui plaît. Je me conforme à cette coutume comme le faisait mon père, et voilà la dignité dont je t’investis en présence de tous. À ma connaissance, aucun chevalier ne s’élèvera contre toi. D’ailleurs, si tu
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