Gauvain
dirige-t-il ? demanda-t-il en grinçant des dents. – Je te l’indiquerai, dit Lakis. – Pas avant que je ne t’aie vaincu par les armes. Remonte sur ton cheval et battons-nous ! s’écria l’Outredouté. – Mais, reprit Lakis, ce n’est pas moi qui t’ai provoqué. Je me suis battu avec ce chevalier, j’ai été vaincu et je ne suis rien d’autre que son messager chargé de te guider vers lui ! – Tu ne feras rien de plus avant que je ne sache sans l’ombre d’un doute qui de nous deux est le plus fort. Et voici pourquoi : si tu l’emportes, je ne vois pas pourquoi je partirais à la poursuite d’un chevalier encore plus fort. Mais si je réussis à te vaincre, ne te fais pas d’illusions, je n’aurai aucune pitié et te mutilerai !
— Dans ce cas, je me défendrai jusqu’au bout ! » dit Lakis. Et, remontant sur son cheval, il s’apprêta à affronter l’Outredouté. Le combat eut peu d’éclat, car il dura quelques instants à peine. L’Outredouté, qui tuait tous ses adversaires, réduisit Lakis à sa merci. Lakis demanda grâce et les deux jeunes filles implorèrent aussi l’Outredouté de l’épargner, mais ce fut là peine perdue. « De quel côté se dirige-t-il ? » demanda l’Outredouté. Le vaincu répondit piteusement : « Seigneur, vers la droite. » L’Outredouté le saisit alors par le côté gauche et lui fit sauter l’œil, le blessant ainsi grièvement. De la sorte, se gaussa-t-il, il s’orienterait mieux et ne risquerait pas d’oublier. « Lakis, ajouta-t-il, sois sans crainte. Je ne te ferai aucun mal avant d’avoir vaincu ce Méraugis. Mais après, sois sûr que je te tuerai. – Je mourrai heureux après vous avoir vu combattre tous deux. La colère qui m’emplit le cœur ne s’apaisera pas que n’ait sonné l’heure de ma vengeance. – Allons, conclut l’Outredouté, trêve de bavardages ! Tant que je ne l’aurai pas massacré, tu ne risques rien. En route ! »
Il piqua des deux, suivi par Lakis, dans la direction que celui-ci avait désignée. Quant aux jeunes filles, peu désireuses de rester plus longtemps dans la tente, elles s’en allèrent en déplorant à chaudes larmes le sort de Lakis.
De son côté, Méraugis, allant au pas et cheminant dans la forêt à la recherche de l’ Esplumoir Merlin , était parvenu au carrefour de quatre chemins. Là, il fit halte, considéra la route et pensa à Lakis et à sa mission. Celui-ci avait tant tardé que le délai du mardi était déjà passé depuis longtemps. On était jeudi. Méraugis pouvait donc maintenant emprunter n’importe quel chemin. Toutefois, pour mieux remplir ses engagements, il décida de poursuivre par le chemin de droite ce jour-là encore, à moins d’être contraint de l’abandonner. Il reprit donc sa chevauchée. Et, peu de temps après, il vit le nain bossu sortir du bois et lui barrer la route. Sans dire un mot, le nain leva un bâton dont il frappa les flancs du cheval.
Méraugis s’arrêta et cria : « Nain maudit ! va-t’en ! Si tu continues, je te tue ! – Tu me tuerais vraiment ? demanda le nain qui se mit alors à trembler et leva les mains en les joignant. Prends le meilleur parti, dit-il. Voici d’un côté la honte, et de l’autre l’honneur que je te dois en contrepartie de ton aide, selon la promesse que je t’ai faite l’autre jour. Que décides-tu ? – File, sale nain ! tu ne me donneras aucune contrepartie et je ne te demanderai rien. Va-t’en à tous les diables de l’enfer ! Que prétends-tu donc ? – Que tu reviennes sur tes pas. Si tu vas là où tu veux aller, la honte s’abattra sur toi. – Quelles sornettes me contes-tu là ? – Ce ne sont pas des sornettes. Si tu avances un pas de plus, tu es déshonoré. Tu es déjà allé très loin, et la honte te trouble déjà l’esprit. Rebrousse chemin, je te dis. »
Méraugis se sentait mal à l’aise. À tout prendre, il préférait l’honneur à la honte. « Nain, où comptes-tu donc m’emmener ? dit-il. Où est l’honneur ? – Je vais t’y mener sans tarder. » Ils retournèrent au carrefour et empruntèrent une autre voie. Après avoir cheminé longuement puis être enfin sortis du bois, ils découvrirent au bord d’une rivière une forteresse en surplomb sur la rive opposée. Entre celle-ci et le bois, au beau milieu d’une prairie, se tenait un grand rassemblement de chevaliers. Comme tous les ans à la même époque, le roi Amangon avait convoqué
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