George Sand et ses amis
rancoeurs dans les strophes admirables des Nuits et la Confession d'un enfant du siècle. Elle et Lui auront trouvé, daus la mutuelle souffrance, un aliment pour leur génie. Sur les ruines de cet amour va croître et s'épanouir la luxuriante floraison des chefs-d'oeuvre.
CHAPITRE XVI - INFLUENCE POLITIQUE : MICHEL (DE BOURGES).
Retirée à Nohant, et résolue à se soustraire à l'affection troublante et tumultueuse d'Alfred de Musset, George Sand recouvre, après une violente secousse, la sérénité de son jugement. Elle ne traîne pas derrière soi ce cortège de rancunes ou de haines qui encombre trop souvent les lendemains de l'amour, jusqu'à transformer en mortels ennemis ceux qui s'étaient juré une tendresse éternelle. Comme Boucoiran, dans une de ses lettres, s'exprimait sur le compte de Musset avec une amertume dédaigneuse, elle lui écrit tout net, le 15 mars 1835 : «Mon ami, vous avez tort de me parler d'Alfred. Ce n'est pas le moment de m'en dire du mal, et si ce que vous en pensez était juste, il faudrait me le taire. Mépriser est beaucoup plus pénible que regretter. Au reste ni l'un ni l'autre ne m'arrivera. Je ne puis regretter la vie orageuse et misérable que je quitte, je ne puis mépriser un homme que sous le rapport de l'honneur je connais aussi bien. J'ai bien assez de raisons de le fuir, sans m'en créer d'imaginaires. Je vous avais prié seulement de me parler de sa santé et de l'effet que lui ferait mon départ. Vous me dites qu'il se porte bien et qu'il n'a montré aucun chagrin. C'est tout ce que je désirais savoir, et c'est ce que je puis apprendre de plus heureux. Tout mon désir était de le quitter sans le faire souffrir. S'il en est ainsi, Dieu soit loué. Ne parlez de lui avec personne, mais surtout avec Buloz. Buloz juge fort à côté de toutes choses, et de plus il répète immédiatement aux gens le mal qu'on dit d'eux et celui qu'il en dit lui-même. C'est un excellent homme et un dangereux ami. Prenez-y garde, il vous ferait une affaire sérieuse avec Musset, tout en vous encourageant à mal parler de lui. Je me trouverais mêlée à ces cancans et cela me serait odieux.
Ayez une réponse prête à toutes les questions : «Je ne sais pas.» C'est bientôt dit et ne compromet personne.»
La même circonspection, que George Sand recommande à Boucoiran, est mise par elle en pratique dans l'Histoire de ma Vie. On s'est étonné qu'elle y mentionnât à peine le nom d'Alfred de Musset, à qui elle avait adressé les trois premières Lettres d'un Voyageur. Pourquoi ce silence obstiné dans l'autobiographie officielle écrite par George Sand ? Etait-elle, aux environs de la cinquantième année, embarrassée de revenir sur un épisode d'amour, vieux de vingt ans ? Alfred de Musset lui semblait-il, dans les Nuits et la Confession d'un enfant du siècle, avoir épuisé le sujet ? Craignait-elle d'engager une polémique et de susciter des récriminations ? Voici l'insuffisante explication qu'elle donne, à la fin du chapitre VI de la cinquième partie de l'Histoire de ma Vie : «Des personnes dont j'étais disposée à parler avec toute la convenance que le goût exige, avec tout le respect dû à de hautes facultés, ou tous les égards auxquels a droit tout contemporain, quel qu'il soit ; des personnes enfin qui eussent dû me connaître assez pour être sans inquiétude, m'ont témoigné, ou fait exprimer par des tiers, de vives appréhensions sur la part que je comptais leur faire dans ces mémoires. A ces personnes-là je n'avais qu'une réponse à faire, qui était de leur promettre de ne leur assigner aucune part, bonne ou mauvaise, petite ou grande, dans mes souvenirs. Du moment qu'elles doutaient de mon discernement et de mon savoir-vivre dans un ouvrage tel que celui-ci, je ne devais pas songer à leur donner confiance en mon caractère d'écrivain, mais bien à les rassurer d'une manière spontanée et absolue par la promesse de mon impartialité.»
Au premier rang de ces personnes qu'elle a connues, «même d'une manière particulière,» et dont elle ne parlera pas, se trouve Alfred de Musset. En rentrant à Nohant après la rupture, elle s'était promis de garder le silence sur leur amour défunt. Elle ne se départira de cette attitude qu'un quart de siècle plus tard, assez malencontreusement d'ailleurs, pour publier Elle et Lui, au lendemain même de la mort du poète.
D'autres sympathies, d'autres aspirations vont l'envahir et la
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