George Sand et ses amis
sur la terre humide.»
A nuit close, en plein jour, elle est en proie ù l'idée fixe, elle voit sans cesse un profil divin, toujours le même, qui se dessine entre son oeil et la muraille. Sur les épaules de ses interlocuteurs elle aperçoit une tête qui n'est pas la leur, la tête de l'aimé. Cette image la hante, la possède : «Quelle fièvre avez-vous fait passer dans la moelle de mes os, esprits de la vengeance céleste ? Quel mal avais-je fait aux anges du ciel pour qu'ils descendissent sur moi et pour qu'ils missent en moi, pour châtiment, un amour de lionne ? Pourquoi mon sang s'est-il changé en feu et pourquoi ai-je connu, au moment de mourir, des embrassements plus fougueux que ceux des hommes ? Quelle furie t'anime donc contre moi, toi qui me pousses du pied dans le cercueil, tandis que ta bouche s'abreuve de mon corps et de ma chair ? Tu veux donc que je me tue ? Tu dis que tu me le défends, et cependant que deviendrai-je loin de toi, si cette flamme continue à me ronger ? Si je ne puis passer une nuit sans crier après toi et me tordre dans mon lit, que ferai-je quand je t'aurai perdu pour toujours ? Pâlirai-je comme une religieuse dévorée par les désirs ? Deviendrai-je folle, et réveillerai-je les hôtes des maisons par mes hurlements ? Oh ! tu veux que je me tue !»
Est-il rien dans la littérature d'imagination qui soit plus déchirant que ce Journal véridique et vécu ? Phèdre, Didon, la Religieuse portugaise ont-elles plus désespérément gémi ou crié leur amour ? Qui la retient encore, au bord de l'abîme, «dans ces heures féroces où elle voudrait arracher son coeur et le dévorer» ? Il ne subsiste, désormais, de sain dans son être que le recoin mystérieux de la tendresse maternelle : «O mon fils, mon fils, je veux que tu lises ceci un jour et que tu saches combien je t'ai aimé. O mes larmes, larmes de mon coeur, signez cette page, et que les siennes retrouvent un jour vos larmes auprès de son nom !»
Ce Journal, en effet, que George Sand ne voulut jamais publier, fut classé parmi ses papiers intimes, et n'a été édité ni par son fils ni par ses héritiers, alors même que la correspondance fut recueillie en volumes et qu'ensuite on livra très légitimement à la curiosité littéraire du public les lettres adressées à Alfred de Musset. Ces lettres, qui provoquèrent vers 1840 un échange de récriminations et, de réclamations entre Lui et Elle, sont finalement restées aux mains de George Sand. Elle faillit les donner au libraire après la mort de Musset, mais elle en fut dissuadée par Sainte-Beuve. Nous n'y trouvons que de trop rares indications sur la réconciliation du mois de janvier 1835, lorsque George Sand écrivait victorieusement à Tattet, le 14 : «Alfred est redevenu mon amant», de même que sur la rupture définitive du mois suivant. Nous n'avons guère, pour pénétrer le secret, qu'une lettre de la malheureuse à celui qu'elle ne peut retenir : «Eh bien ! oui, s-écrie-t-elle, tu es jeune, tu es poète, tu es dans ta beauté et dans ta force...
Moi, je vais mourir, adieu, adieu. Je ne veux pas te quitter, je ne veux pas te reprendre, je ne veux rien, rien ! J'ai les genoux par terre et les reins brisés. Qu'on ne me parle de rien ! Je veux embrasser la terre et pleurer. Je ne t'aime plus, mais je t'adore toujours. Je ne veux plus de toi, mais je ne peux pas m'en passer. Il n'y aurait qu'un coup de foudre d'en haut qui pourrait me guérir en m'anéantissant. Adieu, reste, pars, seulement ne dis pas que je ne souffre pas : il n'y a que cela qui puisse me faire souffrir davantage. Mon seul amour, ma vie, mes entrailles, mon frère, mon sang, allez-vous-en, mais tuez-moi en partant.»
Alfred de Musset, dans un accès de délire, avait menacé de la tuer. Le lendemain, en annonçant son départ et en sollicitant chez elle une suprême entrevue de quelques instants, il ajoute : «Ne t'effraie pas, je ne suis de force à tuer personne ce matin.» Elle lui avait renvoyé ce qu'il avait laissé quai Malaquais, ce qu'il appelle «les oripeaux des anciens jours de joie.» Pour l'apitoyer peut-être, il l'avertit qu'il a retenu sa place dans la malle-poste de Strasbourg, mais il lui adresse auparavant l'adieu de Sténio à Lélia : «Il ne dort pas sous les roseaux du lac, ton Sténio ; il est à tes côtés, il assiste à toutes tes douleurs ; ses yeux trempés de larmes veillent sur tes nuits silencieuses.» Et il lui
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