George Sand et ses amis
parole grandiose était toujours simple. Du moins elle s'empressait de redevenir naturelle et familière quand elle s'arrachait souriante à l'entraînement de l'enthousiasme. C'était comme une musique pleine d'idées qui vous élève l'âme jusqu'aux contemplations célestes, et qui vous ramène sans effort et sans contraste, par un lien logique et une douce modulation, aux choses de la terre et aux souffles de la nature.» Chez Michel (de Bourges) la séduction intellectuelle ne devait rien à la tromperie des agréments physiques. George Sand a tracé de l'orateur et du politique un portrait singulièrement élogieux, dans le sixième chapitre des Lettres d'un Voyageur, où se trouvent réunies les réponses qu'elle lui adressait au début même de leur liaison ; puis, dans la septième Lettre à Liszt, elle l'analyse et le décrit, suivant les lois de la physionomonie de Lavater dont elle était alors férue.
«Je salue, s'écrie-t-elle, à l'aspect de vos spectres chéris, ô mes amis ! ô mes maîtres ! les trésors de grandeur ou de bonté qui sont en vous, et que le doigt de Dieu a révélés en caractères sacrés sur vos nobles fronts ! La voûte immense du crâne chauve d'Everard, si belle et si vaste, si parfaite et si complète dans ses contours qu'on ne sait quelle magnifique faculté domine en lui toutes les autres ; ce nez, ce menton et ce sourcil dont l'énergie ferait trembler si la délicatesse exquise de l'intelligence ne résidait dans la narine, la bonté surhumaine dans le regard, et la sagesse indulgente dans les lèvres ; cette tête, qui est à la fois celle d'un héros et celle d'un saint, m'apparaît dans mes rêves à côté de la face austère et terrible du grand Lamennais.» Moins idéalisé, plus véridique est le portrait d'Everard que nous offre l'Histoire de ma Vie. George Sand affirme avoir tout d'abord observé en lui la forme extraordinaire de la tête. Peut-être la phrénologie y trouvait-elle son compte, mais non pas l'esthétique. «Il semblait avoir deux crânes soudés l'un à l'autre, les signes des hautes facultés de l'âme étant aussi proéminents à la proue de ce puissant navire que ceux des généreux instincts l'étaient à la poupe. Intelligence, vénération, enthousiasme, subtilité et vastitude d'esprit étaient équilibrés par l'amour familial, l'amitié, la tendre domesticité, le courage physique. Everard était une organisation admirable. Mais Everard était malade, Everard ne devait pas, ne pouvait pas vivre. La poitrine, l'estomac, le foie étaient envahis. Malgré une vie sobre et austère, il était usé.» Et George Sand ajoute : «Ce fut précisément cette absence de vie physique qui me toucha profondément.» Déjà chez Alfred de Musset, elle s'était intéressée à un organisme frêle ; mais chez Pagello elle avait été séduite par la bonne santé, l'agréable prestance et la vigueur musculaire.
En Michel (de Bourges) elle distingua, s'il faut l'en croire, «une belle âme aux prises avec les causes d'une inévitable destruction.» Cette belle âme avait une enveloppe caduque. «Le premier aspect d'Everard, lisons-nous dans l'Histoire de ma Vie, était celui d'un vieillard petit, grêle, chauve et voûté. Le temps n'était pas venu où il voulut se rajeunir, porter une perruque, s'habiller à la mode et aller dans le monde... Il paraissait donc, au premier coup d'oeil, avoir soixante ans, et il avait soixante ans en effet ; mais, en même temps, il n'en avait que quarante quand on regardait mieux sa belle figure pâle, ses dents magnifiques et ses yeux myopes d'une douceur et d'une candeur admirables à travers ses vilaines lunettes. Il offrait donc cette particularité de paraître et d'être réellement jeune et vieux tout ensemble.» Le contraste signalé se retrouvait dans l'allure de son intelligence. George Sand nous le représente mourant à toute heure et cependant débordant de vie, «parfois, dit-elle, avec une intensité d'expansion fatigante même pour l'esprit qu'il a le plus émerveillé et charmé, je veux dire pour mon propre esprit.» Ne va-t-elle pas, sinon jusqu'à la caricature, du moins jusqu'à cette ironie qui succède parfois aux passions hyperboliques, lorsqu'elle nous dépeint sa manière d'être extérieure ? «Né paysan, il avait conservé le besoin d'aise et de solidité dans ses vêtements. Il portait chez lui et dans la ville une épaisse houppelande informe et de gros sabots. Il avait froid en
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