George Sand et ses amis
veillera sur toi.
»Ton amie.
»George.»
Avant la fin de la même année, et alors que son affection pour ses enfants semblait l'incliner aux mesures de conciliation et de paix, George Sand prit la résolution d'introduire une instance en séparation de corps. Elle en avertit sa mère, par une lettre écrite de Nohant le 25 octobre 1835, qui débute ainsi : «Ma chère maman, je vous dois, à vous la première, l'exposé de faits que vous ne devez point apprendre par la voie publique. J'ai formé une demande en séparation contre mon mari. Les raisons en sont si majeures, que, par égard pour lui, je ne vous les détaillerai pas. J'irai à Paris dans quelque temps, et je vous prendrai vous-même pour juge de ma conduite.» Elle ne dit pas à sa mère, mais il importe de rechercher quels événements l'avaient induite à entamer cette lutte, alors qu'elle sortait à peine de sa liaison tourmentée avec Alfred de Musset.
Durant les séjours que George Sand fit à Nohant après le voyage de Venise, elle eut avec son mari, sinon des explications décisives, du moins des scènes pénibles devant témoins. M. Dudevant était un homme étrange, exempt de dignité morale. Il n'avait cessé d'écrire à sa femme, et même en termes affectueux, tandis qu'elle cohabitait avec Musset, puis avec Pagello ; il avait invité celui-ci à venir passer quelques jours à la campagne. Bref, il acceptait la situation qui lui était faite, mais il prenait sa revanche dans les menues choses de la vie. Sous l'excitation du vin ou de l'alcool, il tempêtait à table, brusquait Solange, et, pour une bouteille cassée que George Sand commandait de remplacer, il défendait aux domestiques, devant les convives étonnés, de recevoir d'autres ordres que les siens.
«Je suis le maître,» aimait-il à répéter. En tous cas, il avait fort mal géré ses affaires. Son patrimoine était dissipé, et déjà il entamait la fortune de sa femme. Elle proposa et il accueillit une séparation à l'amiable, qui réglerait leurs intérêts matériels. George Sand aurait Nohant ; Casimir l'hôtel de Narbonne, à Paris. Solange serait élevée par sa mère, les vacances de Maurice se partageraient entre ses parents. Enfin, comme M. Dudevant n'avait plus que 1.200 francs de rente, sa femme se chargeait de lui fournir une pension supplémentaire de 3.800 francs, en même temps qu'elle assumait les autres obligations qui incombaient à la communauté.
Cette convention devait être exécutée à dater du 11 novembre 1835. Elle avait reçu l'assentiment des deux parties, l'approbation de divers hommes de loi, notamment de Michel (de Bourges) dont George Sand prenait les conseils. Deux amis communs, Fleury et Planet, les avaient mis en relations, et il allait devenir pour elle plus et mieux qu'un avocat.
Voici comment l'Histoire de ma Vie relate leur première rencontre, en lui conservant ce pseudonyme transparent d'Everard qui figure dans les Lettres d'un Voyageur : «Arrivée à l'auberge de Bourges, je commençai par dîner, après quoi j'envoyai dire à Everard par Planet que j'étais là, et il accourut. Il venait de lire Lélia, et il était toqué de cet ouvrage. Je lui racontai tous mes ennuis, toutes mes tristesses, et le consultai beaucoup moins sur mes affaires que sur mes idées.» L'entretien, commencé à sept heures du soir, se prolongea jusqu'à quatre heures du matin, par une promenade à travers les rues silencieuses et endormies.
Ce ne fut guère qu'un monologue. Michel était un merveilleux, un intarissable causeur. Fils d'un républicain qui mourut en 1799 sous les coups de la réaction royaliste, il fut élevé par sa mère dans le culte et l'amour de la Révolution. En 1835, il avait trente-sept ans et comptait déjà les plus brillants succès à la barre. Sur l'âme mobile et ardente de George Sand, il exerça d'instinct, encore que plus tard elle ait voulu s'en défendre, une réelle fascination. Que dit-il donc, et comment, pour que la conquête fût si rapide ? «Tout et rien, explique-t-elle. Il s'était laissé emporter par nos dires, qui ne se plaçaient là que pour lui fournir la réplique, tant nous étions curieux d'abord et puis ensuite avides de l'écouter. Il avait monté d'idée en idée jusqu'aux plus sublimes élans vers la Divinité, et c'est quand il avait franchi tous ces espaces qu'il était véritablement transfiguré. Jamais parole plus éloquente n'est sortie, je crois, d'une bouche humaine, et cette
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