George Sand et ses amis
toute saison et partout, mais, poli quand même, il ne consentait pas à garder sa casquette ou son chapeau dans les appartements. Il demandait seulement la permission de mettre un mouchoir, et il tirait de sa poche trois ou quatre foulards qu'il nouait au hasard les uns sur les autres, qu'il faisait tomber en gesticulant, qu'il ramassait et remettait avec distraction, se coiffant ainsi, sans le savoir, de la manière tantôt la plus fantastique et tantôt la plus pittoresque.»
Il est vrai que ce paysan du Danube avait le goût du beau linge. Sa chemise était fine, toujours blanche et fraîche : On blâmait, dans certains cénacles, «ce sybaritisme caché et ce soin extrême de sa personne.» George Sand, au contraire, l'en loue comme d'une «secrète exquisité», et elle en profite pour faire l'éloge de l'élégance des manières et de l'agrément de la toilette, qui ne sont nullement incompatibles avec l'ardeur des convictions démocratiques. L'amour du peuple se concilie à merveille avec l'urbanité du langage et le souci de la beauté. Un démocrate n'est point obligé d'être hirsute et malpropre. George Sand savait gré à Michel (de Bourges) de n'être négligé qu'en apparence ; le dessous valait mieux que la houppelande. «La propreté, dit-elle, est un indice et une preuve de sociabilité et de déférence pour nos semblables, et il ne faut pas qu'on proscrive la propreté raffinée, car il n'y a pas de demi-propreté.» Elle ne concède aux savants, aux artistes ou aux patriotes-que viennent faire ici les patriotes ?-ni l'abandon de soi-même, ni la mauvaise odeur, ni les dents répugnantes à voir, ni les cheveux sales. Elle répudie ces habitudes malséantes et déclare, en femme très préoccupée du commerce masculin : «Il n'est point de si belle parole qui ne perde de son prix quand elle sort d'une bouche qui vous donne des nausées.» C'est là un truisme auquel nul ne contredira.
Faut-il voir chez Michel (de Bourges), comme l'a dit George Sand, Robespierre en personne. Maximilien, qu'on a justement surnommé l'incorruptible, fut à la fois plus élégant, plus doctrinaire et plus désintéressé. Les opinions de Michel varièrent, comme l'importance qu'il attachait, selon les temps, ou n'attachait pas à son costume.
Non seulement il fut tour à tour Montagnard et Girondin-ce qui serait excusable-mais les évolutions de sa pensée étaient déconcertantes : il s'éprenait successivement ou même simultanément de Babeuf et de Montesquieu, d'Obermann et de Platon, de la vie monastique et d'Aristote. C'étaient les soubresauts d'une imagination effervescente, prompte à s'engouer et à se déprendre. Il était agité, trépidant, contradictoire. En cela George Sand le trouvait inquiétant. Elle ne parvenait pas à le suivre et perdait sa trace. «J'étais forcée, dit-elle, de constater ce que j'avais déjà constaté ailleurs, c'est que les plus beaux génies touchent parfois et comme fatalement à l'aliénation. Si Everard n'avait pas été voué à l'eau sucrée pour toute boisson, même pendant ses repas, maintes fois je l'aurais cru ivre.» Quant aux attaques d'adversaires acharnés qui lui reprochaient un amour du gain inné chez le paysan, voici la réponse indignée de George Sand : «O mon frère, on ne peut pas inventer de plus folle calomnie contre toi que l'accusation de cupidité. Je voudrais bien que tes ennemis politiques pussent me dire en quoi l'argent peut être désirable pour un homme sans vices, sans fantaisies, et qui n'a ni maîtresses, ni cabinet de tableaux, ni collection de médailles, ni chevaux anglais, ni luxe, ni mollesse d'aucun genre ?» Elle revient sur ce sujet dans l'Histoire de ma Vie, alors qu'à distance, le charme rompu, elle essaie de résumer leurs dissidences et d'expliquer son refroidissement. A ses enthousiasmes défunts succède une impitoyable clairvoyance. Elle serait portée, sinon à brûler, tout au moins à ravaler et à rejeter sans merci ce qu'elle avait adoré. Or elle défend encore, ou plutôt elle excuse Michel (de Bourges). «Au milieu, dit-elle, de ses flottements tumultueux et de ses cataractes d'idées opposées, Everard nourrissait le ver rongeur de l'ambition.
On a dit qu'il aimait l'argent et l'influence. Je n'ai jamais vu d'étroitesse ni de laideur dans ses instincts. Quand il se tourmentait d'une perte d'argent, ou quand il se réjouissait d'un succès de ce genre, c'était avec l'émotion légitime d'un malade
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