George Sand et ses amis
scène violente, s'offrant à les persuader s'ils lui accordaient encore quelques heures d'audience jusqu'à l'aurore, puis les menaçant de ne jamais les revoir s'ils le quittaient avant qu'il eût achevé sa démonstration. Et George Sand observe : «On eût dit d'une querelle d'amour, et il ne s'agissait pourtant que de la doctrine de Babeuf.» Mais, pour un idéaliste, pour un semeur d'espérance dans les sillons de l'avenir, qu'y a-t-il de plus séduisant que cette recherche d'un monde meilleur, que la conception d'une humanité régénérée ? George Sand en ira quérir les origines, les premiers germes dans la Bohême de Jean Huss, de même que Jean-Jacques en a dessiné les linéaments dans son Contrat social. Certes les utopies de Michel (de Bourges) valaient mieux que la vulgarité de nos résignations égoïstes ou serviles. Il plaidait avec conscience toutes les causes qu'il accueillait, la thèse des revendications de la démocratie intégrale aussi bien que la réalité, plus contingente, des doléances conjugales de George Sand. Ce dernier procès était plus facile à gagner devant la justice humaine que l'autre à la barre d'un insaisissable tribunal.
CHAPITRE XVII - LA SEPARATION DE CORPS
Dans la neuvième des Lettres d'un Voyageur, adressée au Malgache, c'est-à-dire à son ami Jules Néraud, George Sand exprime son dégoût des contestations judiciaires, surtout lorsqu'elles touchent aux affections les plus sacrées. «Ce procès, écrit-elle, d'où dépend mon avenir, mon honneur, mon repos, l'avenir et le repos de mes enfants, je le croyais loyalement terminé. Tu m'as quitté comme j'étais à la veille de rentrer dans la maison paternelle. On m'en chasse de nouveau, on rompt les conventions jurées. Il faut combattre sur nouveaux frais, disputer pied à pied un coin de terre..., coin précieux, terre sacrée, où les os de mes parents reposent sous les fleurs que ma main sema et que mes pleurs arrosèrent.» Plus loin elle se demande comment poète, marquée au front pour n'appartenir à rien et à personne, pour mener une vie errante, elle s'est liée à la société et a fait alliance avec la famille humaine. «Ce n'était pas là mon lot, soupire t-elle. Dieu m'avait donné un orgueil silencieux et indomptable, une haine profonde pour l'injustice, un dévouement invincible pour les opprimés. J'étais un oiseau des champs, et je me suis laissé mettre en cage ; une liane voyageuse des grandes mers, et on m'a mis sous une cloche de jardin. Mes sens ne me provoquaient pas à l'amour, mon coeur ne savait ce que c'était. Mon esprit n'avait besoin que de contemplation, d'air natal, de lectures et de mélodies. Pourquoi des chaînes indissolubles à moi ?.. Et parce qu'en écrivant des contes pour gagner le pain qu'on me refusait je me suis souvenu d'avoir été malheureux, parce que j'ai osé dire qu'il y avait des êtres misérables dans le mariage, à cause de la faiblesse qu'on ordonne à la femme, à cause de la brutalité qu'on permet au mari, à cause des turpitudes que la société couvre d'un voile et protège du manteau de l'abus, on m'a déclaré immoral, on m'a traité comme si j'étais l'ennemi du genre humain !» Doutant de la justice d'ici-bas, elle tourne ses regards et tend ses mains vers l'autre, en s'écriant :
«Non ! toi seul, ô Dieu ! peux laver ces taches sanglantes que l'oppression brutale fait chaque jour à la robe expiatoire de ton Fils et de ceux qui souffrent en invoquant son nom !... Du moins toi, tu le peux et tu le veux ; car tu permets que je sois heureux, malgré tout, à cette heure, sans autre richesse que mon encrier, sans autre abri que le ciel, sans autre désir que celui de rendre un jour le bien pour le mal, sans autre plaisir terrestre que celui de sécher mes pieds sur cette pierre chauffée du soleil. O mes ennemis ! vous ne connaissez pas Dieu ; vous ne savez pas qu'il n'exauce point les voeux de la haine ! Vous aurez beau faire, vous ne m'ôterez pas cette matinée de printemps.»
Entendez-la, cette plaideuse qui lutte pour la liberté, pour la possession de ses enfants, pour le salut de son foyer et la sauvegarde de sa dignité ; écoutez comme elle célèbre le charme et l'allégresse de la nature en fleur :
«Le soleil est en plein sur ma tête ; je me suis oublié au bord de la rivière sur l'arbre renversé qui sert de pont. L'eau courait si limpide sur son lit de cailloux bleus changeants ; il y avait autour des rochers
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