George Sand et ses amis
menacées de mort, daignent nous dire : «On vous permet de ne plus aimer monsieur votre maître, et, si la maison est à vous, de le mettre dehors.»
Cette justice, dont George Sand pensait tant de mal, allait pourtant lui donner satisfaction. Le 1er décembre, une décision du tribunal reconnut les faits allégués par la plaignante pertinents et admissibles, et lui permit d'en administrer la preuve.
Signification de ce jugement fut faite au domicile légal de M. Dudevant le 2 janvier 1836, et l'audition des témoins commença le 14 janvier. Le procès-verbal de leurs dépositions, d'ailleurs probantes, ayant été communiqué à la partie sans qu'il y eût de réponse, le 16 février, sur les conclusions favorables du ministère public, le tribunal rendit un jugement par défaut qui déclarait bien fondés et établis par l'enquête les griefs de madame Dudevant. La séparation de corps était prononcée, un notaire commis pour procéder au partage de la communauté et aux reprises. Casimir Dudevant ne comparut pas chez le notaire. Et le 26 février, George Sand, tout heureuse d'avoir la garde de son fils et de sa fille, mandait à madame d'Agoult : «Grâce à Dieu, j'ai gagné mon procès et j'ai mes deux enfants à moi. Je ne sais si c'est fini. Mon adversaire peut en appeler et prolonger mes ennuis.» M. Dudevant, en effet, qui dès le début de l'instance avait résigné ses fonctions de maire de Nohant et s'était installé à Paris, changea soudain de tactique. Stimulé par sa belle-mère, la baronne Dudevant, et peut-être aussi par la mère d'Aurore, l'étrange madame Dupin, il interjeta, le 8 avril, opposition aux jugements intervenus, en invoquant des vices de procédure et en réclamant une contre-enquête. On plaida, les 10 et 11 mai, devant le tribunal de première instance de La Châtre. Me Michel (de Bourges) était à la barre pour madame Dudevant, et Me Vergne pour le mari.
L'avocat de M. Dudevant se borna à traiter le point de droit ; il demanda la nullité de la procédure. Michel (de Bourges), au contraire, abordant le fond du débat, montra ce mari ivrogne, brutal, débauché, qui laissait toute liberté à sa femme, à la seule condition de jouir de l'intégralité des revenus.
Il était complaisant, parce qu'il était cupide et rapace. Puis, prenant la requête du 14 avril, à laquelle son confrère avait à peine osé faire allusion, Michel en signala les imputations ignominieuses, dont la plus infâme rappelait l'accusation dirigée contre Marie-Antoinette. Il évoqua et fit sienne la fameuse réponse de la reine : «J'en appelle à toutes les mères.» Et il s'indigna que M. Dudevant voulût obliger sa femme à réintégrer le domicile conjugal, après l'avoir menacée de mort, mais surtout après l'avoir épouvantablement offensée et suspectée des vices les plus ignobles.
Le tribunal de La Châtre donna gain de cause, en droit à M. Dudevant, en fait à la partie adverse. L'opposition était admise pour irrégularités de procédure ; mais, à raison des imputations diffamatoires de l'acte du 14 avril-calomnies de servantes congédiées-la séparation de corps était maintenue et la garde des deux enfants attribuée à la mère.
George Sand atteignait-elle au terme de ses angoisses ? Non pas. Il lui fallut encore aller en appel. Tour à tour alarmée et confiante, elle écrivait le 5 mai à Franz Liszt, qui avait accompagné la comtesse d'Agoult à Genève : «Mon procès a été gagné ; puis l'adversaire, après avoir engagé son honneur à ne pas plaider, s'est mis à manquer de parole et à oublier sa signature et son serment, comme des bagatelles qui ne sont plus de mode. Si la possession de mes enfants et la sécurité de ma vie n'étaient en jeu, vraiment ce ne serait pas la peine de les défendre au prix de tant d'ennuis. Je combats par devoir plutôt que par nécessité.» Le 11 mai, tandis que son sort se débattait au tribunal de La Châtre, elle dormait profondément.
On dut la réveiller à une heure de l'après-midi, pour lui apprendre que Michel (de Bourges) avait fait pleurer l'auditoire et que son procès était gagné. Provisoirement du moins. M. Dudevant, campé à Nohant, ne se souciait pas de rendre la dot de sa femme. Il voulut un nouvel éclat à l'audience de la Cour. George Sand, établie à La Châtre chez des amis et toujours ardente au travail, était armée pour la lutte. «S'il ne s'agissait que de ma fortune, écrit-elle le 25 mai à
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