George Sand et ses amis
rare sous la plume de George Sand, un mélange de coquetterie et de subtilité un peu mièvre, avec un impatient désir de plaire : «La première fois que je vous ai vue, je vous ai trouvée jolie ; mais vous étiez froide. La seconde fois, je vous ai dit que je détestais la noblesse. Je ne savais pas que vous en étiez. Au lieu de me donner un soufflet, comme je le méritais, vous m'avez parlé de votre âme, comme si vous me connaissiez depuis dix ans. C'était bien, et j'ai eu tout de suite envie de vous aimer ; mais je ne vous aime pas encore. Ce n'est pas parce que je ne vous connais pas assez.
Je vous connais autant que je vous connaîtrai dans vingt ans. C'est vous qui ne me connaissez pas assez. Ne sachant si vous pourrez m'aimer, telle que je suis en réalité, je ne veux pas vous aimer encore.» Et elle se compare très modestement à un porc-épic que frôle une main douce et blanche. Elle appréhende de rebuter les caresses ou simplement la sollicitude. «Ainsi, voyez si vous pouvez accorder votre coeur à un porc-épic. Je suis capable de tout. Je vous ferai mille sottises. Je vous marcherai sur les pieds. Je vous répondrai une grossièreté à propos de rien. Je vous reprocherai un défaut que vous n'avez pas. Je vous supposerai une intention que vous n'aurez jamais eue. Je vous tournerai le dos. En un mot, je serai insupportable jusqu'à ce que je sois bien sûre que je ne peux pas vous fâcher et vous dégoûter de moi. Oh ! alors, je vous porterai sur mon dos. Je vous ferai la cuisine. Je laverai vos assiettes. Tout ce que vous me direz me semblera divin. Si vous marchez dans quelque chose de sale, je trouverai que cela sent bon.»
Au porc-épic, comment va répondre celle que George Sand définissait «la blonde péri à la robe d'azur ?» Elle se compare à une tortue qu'elle a reçue pour ses étrennes, ironique symbole de la rapidité et de la mobilité de ses idées. «Eh bien, ajoute-t-elle, ne vous laissez pas rebuter par les écailles de la tortue, qui ne s'effraie nullement des piquants du porc-épic. Sous ces écailles, il y a encore de la vie.» Est-ce une fable, imitée de La Fontaine, «la Tortue et le Porc-épic,» qui va nous déduire quelque moralité ? Elle commence à merveille. George couvre Marie de louanges, s'extasie devant son incommensurable supériorité, lui conseille, la supplie d'écrire et de manifester son talent.
«Faites-en profiter le monde : vous le devez.» La fumée de cet encens était suave à l'orgueilleuse sensualité de la comtesse d'Agoult. En cette lune de miel de l'amitié, George Sand déverse les effluves de sa tendresse. On se donne de petits noms caressants. Piffoël, de Nohant, adore les Fellows, de Genève. Elle aspire à les rejoindre. Ce projet, entravé par l'instance contre M. Dudevant, se réalise, non pas en septembre 1835, comme l'indique par erreur M. Rocheblave, mais seulement en septembre 1836. Ce sont douze mois d'attente impatiente. George Sand maudit les lenteurs de Thémis. Le 5 mai 1836, en pleine bataille judiciaire, elle écrit à Franz Liszt : «Je serais depuis longtemps près de vous, sans tous ces déboires. C'est mon rêve, c'est l'Eldorado que je me fais, quand je puis avoir, entre le procès et le travail, un quart d'heure de rêvasserie. Pourrai-je entrer dans ce beau château en Espagne ? Serai-je quelque jour assise aux pieds de la belle et bonne Marie, sous le piano de Votre Excellence ?» Et deux mois plus tard, le 10 juillet, elle emploie presque les mêmes termes, dans une lettre à madame d'Agoult : «Je rêve mon oasis près de vous et de Franz. Après tant de sables traversés, après avoir affronté tant d'orages, j'ai besoin de la source pure et de l'ombrage des deux beaux palmiers du désert.» Au préalable, ce sont des échanges d'impressions littéraires. Lamartine subit de rudes assauts. «Il m'est impossible, écrit Liszt, d'accepter comme une grande oeuvre l'ensemble de Jocelyn.» Et George Sand lui répond, non moins sévère : «Jocelyn est, en somme, un mauvais ouvrage. Pensées communes, sentiment faux, style lâché, vers plats et diffus, sujet rebattu, personnages traînant partout, affectation jointe à la négligence ; mais, au milieu de tout cela, il y a des pages et des chapitres qui n'existent dans aucune langue et que j'ai relus jusqu'à sept fois de suite en pleurant comme un âne.»
La postérité ne retiendra que la seconde partie de ce jugement. Ane ou non, celui qui a
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