George Sand et ses amis
refusaient à accueillir les oeuvres de George Sand qu'ils estimaient subversives et révolutionnaires.
Ce socialisme, purement intellectuel, n'eût pas été désavoué par Fénelon en sa république de Salente. Il n'est aucunement responsable du décevant résultat des ateliers nationaux, non plus que de la sinistre aventure des journées de Juin. A sa base on trouve un communisme virtuel, la communauté par association, embryon de propriété collective. Mais l'idée demeura incomprise et rejetée par les masses. «Elle est, déclare George Sand, antipathique dans la campagne et n'y sera réalisable que par l'initiative d'un gouvernement fort, ou par une rénovation philosophique, religieuse et chrétienne, ouvrage des siècles peut-être».
A sa thèse généreuse l'écrivain avait adapté une intrigue assez invraisemblable, mais attachante. Emile Cardonnet, étudiant enthousiaste, est appelé auprès de son père, industriel positif, esprit sec et précis, superlativement bourgeois. Dans le pays, aux environs de Gargilesse, sur les confins de la Marche, habitent en leurs manoirs respectifs deux anciens amis devenus ennemis mortels, le comte Antoine de Chateaubrun et le marquis de Boisguilbault. A Chateaubrun, tout est dévasté, et le comte ruiné s'est transformé en une manière de paysan qui s'appelle M. Antoine. Il a une fille de dix-huit ans, Gilberte, blanche et blonde, «belle comme la plus belle fleur inculte de ces gracieuses solitudes.» A Boisguilbault, autre original, hanté par l'hypocondrie, un misanthrope de soixante-dix ans. Encore droit, mais très maigre, ses vêtements semblaient couvrir un homme de bois. Et, de fait, il n'avait pas changé la coupe de son costume depuis un demi-siècle : «Un habit vert très court, des pantalons de nankin, un jabot très roide, des bottes à coeur, et, pour rester fidèle à ses habitudes, une petite perruque blonde, de la nuance de ses anciens cheveux et ramassée en touffe sur le milieu du front. Des cols empesés montant très haut, et relevant jusqu'aux yeux ses longs favoris blancs comme la neige, donnaient à sa longue figure la forme d'un triangle.» Habillé en petit maître de l'Empire, M. de Boisguilbault était communiste.
D'où provenait la brouille entre le comte et le marquis ? Quel était le péché de M. Antoine ? Quel était le grief du septuagénaire ? C'est-nous l'apprendrons au dénouement-qu'Antoine de Châteaubrun, en sa fringante jeunesse, avait été l'amant de madame de Boisguilbault.
Au demeurant, Emile Cardonnet, qui aime la fille du comte et les théories du marquis, entre en rébellion contre son père, prompt à pourfendre le socialisme. «Voilà, s'écrie l'industriel avec indignation, voilà les utopies du frère Emile, frère morave, quaker, néo-chrétien, néo-platonicien, que sais-je ? C'est superbe, mais c'est absurde.» Sans cesse ils sont aux prises, l'un prenant pour formule : «A chacun suivant sa capacité», l'autre ayant pour axiome : «A chacun suivant ses besoins». Emile, rudoyé par l'infaillibilité paternelle, se console auprès du marquis, qui lui enseigne que l'égalité des droits implique l'égalité des jouissances, que la vérité communiste est tout aussi respectable que la vérité évangélique. C'est, en effet, l'Evangile qui, par les voies esséniennes, les conduit à une conclusion d'égalité niveleuse. Le Dieu qu'ils adorent est la justice sans alliage, la miséricorde sans défaillance. «Dieu est dans tout, et la nature est son temple.» Mais la raison pure peut-elle suffire à la vingtième année ? Si l'esprit d'Emile est plus souvent à Boisguilbault, son coeur est presque toujours à Chateaubrun. Après des chapitres interminables de dissertations socialistes, la jeunesse et l'amour recouvrent leurs droits. Le fils altruiste de l'égoïste industriel épouse la fille de M. Antoine. On peut espérer que les deux époux n'examineront pas seulement les beautés du communisme. Vainement le marquis, qui se plaignait d'avoir jadis partagé sa femme, professe que tout doit être mis en commun : Emile n'y mettra pas Gilberte. Et les théories de George Sand viennent se briser sur le roc de l'amour, qui est un irréductible individualiste.
CHAPITRE XXIII - EN 1848
Dès 1830, George Sand était républicaine. Durant les dix-huit années du règne de Louis-Philippe, elle ne cessa d'appeler de ses voeux une révolution qui renversât la monarchie et le régime censitaire. Elle avait
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