George Sand et ses amis
donné son âme à la démocratie, elle était en communion parfaite avec les accusés d'avril. Les ennemis du gouvernement de Juillet pouvaient compter sur sa coopération intellectuelle : les romans qu'elle publiait sapaient les assises de la royauté bourgeoise. Toutefois, elle refusa d'approuver l'échauffourée du 12 mai 1839, tentée par la Société des Saisons, et dont elle apprit à Gênes l'infructueuse issue. Elle se contenta de plaindre et d'admirer les vaincus. «A Dieu ne plaise, écrit-elle dans son autobiographie, que j'accuse Barbès, Martin Bernard et les autres généreux martyrs de cette série, d'avoir aveuglément sacrifié à leur audace naturelle, à leur mépris de la vie, à un égoïste besoin de gloire ! Non ! c'étaient des esprits réfléchis, studieux, modestes ; mais ils étaient jeunes, ils étaient exaltés par la religion du devoir, ils espéraient que leur mort serait féconde. Ils croyaient trop à l'excellence soutenue de la nature humaine ; ils la jugeaient d'après eux-mêmes. Ah ! mes amis, que votre vie est belle, puisque, pour y trouver une faute, il faut faire, au nom de la froide raison, le procès aux plus nobles sentiments dont l'âme de l'homme soit capable ! La véritable grandeur de Barbès se manifesta dans son attitude devant ses juges et se compléta dans le long martyre de la prison. C'est là que son âme s'éleva jusqu'à la sainteté. C'est du silence de cette âme profondément humble et pieusement résignée qu'est sorti le plus éloquent et le plus pur enseignement à la vertu qu'il ait été donné à ce siècle de comprendre.
Les lettres de Barbès à ses amis sont dignes des plus beaux temps de la foi.»
A ce chevalier, à ce paladin héroïque de la démocratie, aboutissait le cycle des enthousiasmes de George Sand. Elle avait tour à tour demandé la certitude philosophique et la vérité sociale aux sources les plus diverses ; elle avait interrogé le passé et le présent, elle s'était efforcée d'arracher à l'avenir son redoutable secret. Et elle s'écrie, au terme de l'Histoire de ma Vie : «Terre de Pierre Leroux, Ciel de Jean Reynaud, Univers de Leibnitz, Charité de Lamennais, vous montez ensemble vers le Dieu de Jésus... Quand, avec la jeunesse de mon temps, je secouais la voûte de plomb des mystères, Lamennais vint à propos étayer les parties sacrées du temple. Quand, indignés après les lois de septembre, nous étions prêts encore à renverser le sanctuaire réservé, Leroux vint, éloquent, ingénieux, sublime, nous promettre le règne du ciel sur cette même terre que nous maudissions. Et de nos jours, comme nous désespérions encore, Reynaud, déjà grand, s'est levé plus grand encore pour nous ouvrir, au nom de la science et de la foi, au nom de Leibnitz et de Jésus, l'infini des mondes comme une patrie qui nous réclame.»
La République, en effet, qu'elle attend, qu'elle appelle, c'est l'Evangile en acte, c'est la réalisation de cette doctrine «toute d'idéal et de sentiment sublime» qui fut apportée aux hommes par le Nazaréen. Du haut de ses rêves, elle devait choir dans la réalité. La désillusion sera cruelle.
Douée d'une intelligence religieuse et d'une raison anticléricale, elle était délibérément hostile à la théologie et aux pratiques du catholicisme. L'Eglise romaine lui apparaissait inconciliable avec l'esprit de liberté. Le 13 novembre 1844, elle répondait à un desservant qui, par circulaire, venait la solliciter pour une oeuvre pie : «Depuis qu'il n'y a plus, dans la foi catholique, ni discussions, ni conciles, ni progrès, ni lumières, je la regarde comme une lettre morte, qui s'est placée comme un frein politique au-dessous des trônes et au-dessus des peuples. C'est à mes yeux un voile mensonger sur la parole du Christ, une fausse interprétation des sublimes Evangiles, et un obstacle insurmontable à la sainte égalité que Dieu promet, que Dieu accordera aux hommes sur la terre comme au ciel.» Plus tard, en février 1848, à la veille de la Révolution, George Sand communique au Constitutionnel une lettre adressée à Pie IX par Joseph Mazzini, et elle y ajoute un commentaire qui se termine par cette adjuration : «Courage, Saint-Père ! Soyez chrétien !»
C'est avec le même instinct de générosité confiante et un peu crédule qu'elle se tourne vers le prince Louis-Napoléon Bonaparte, prisonnier au fort de Ham, pour le féliciter de son «remarquable travail,
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