George Sand et ses amis
l'Extinction du Paupérisme.» Cette correspondance est du mois de décembre 1844. George Sand était alors vaguement communiste, tout au moins dans le Compagnon du Tour de France, le Meunier d'Angibault et le Péché de Monsieur Antoine. Elle compte, pour assurer le triomphe de la liberté, sur l'impérial rêveur, chez qui se dérobe un sinistre ambitieux. En lui elle ne veut voir qu'un guerrier captif, un héros désarmé, un grand citoyen.
Elle demande impatiemment à l'homme d'élite de tirer la France des mains d'un homme vulgaire, pour ne rien dire de pis. Par là elle a désigné Louis-Philippe. Comme la plupart des contemporains, elle subit la fascination de la légende napoléonienne. «Ce n'est pas, dit-elle, le nom terrible et magnifique que vous portez qui nous eût séduit. Nous avons à la fois diminué et grandi depuis les jours d'ivresse sublime qu'IL nous a donnés : son règne illustre n'est plus de ce monde, et l'héritier de son nom se préoccupe du sort des prolétaires !... Quant à moi personnellement, je ne connais pas le soupçon, et, s'il dépendait de moi, après vous avoir lu, j'aurais foi en vos promesses et j'ouvrirais la prison pour vous faire sortir, la main pour vous recevoir... Parlez-nous donc encore de liberté, noble captif ! Le peuple est comme vous dans les fers. Le Napoléon d'aujourd'hui est celui qui personnifie la douleur du peuple comme l'autre personnifiait sa gloire.» A célébrer ainsi le renouveau des souvenirs d'antan, George Sand ne pressent pas qu'elle est sur le chemin de l'élection présidentielle, du coup d'Etat et de l'Empire.
Dès 1844, elle estimait, comme elle le proclamera en 1848 dans sa lettre Aux Riches, que «le communisme, c'est le vrai christianisme,» et elle ajoutera : «Hélas ! non, le peuple n'est pas communiste, et cependant la France est appelée à l'être avant un siècle.» Sous le ministère Guizot, elle recueille des signatures en faveur de la Pétition pour l'organisation du travail, qui contient en germe la doctrine socialiste de Louis Blanc et les ateliers nationaux. Elle va de l'avant, mais sans discerner très nettement ceux qu'elle suit, non plus que ceux qu'elle entraîne.
Le 18 février 1848, elle ne croit aucunement à la révolution qui éclatera six jours plus tard. «Je n'y vois pas, écrit-elle à son fils, de prétexte raisonnable dans l'affaire des banquets. C'est une intrigue entre ministres qui tombent et ministres qui veulent monter. Si l'on fait du bruit autour de leur table, il n'en résultera que des horions, des assassinats commis par les mouchards sur des badauds inoffensifs, et je ne crois pas que le peuple prenne parti pour la querelle de M. Thiers contre M. Guizot. Thiers vaut mieux, à coup sûr ; mais il ne donnera pas plus de pain aux pauvres que les autres.» Elle déclare que se faire assommer pour Odilon Barrot et compagnie, ce serait trop bête, et elle exhorte Maurice à observer les événements de loin, sans se fourrer dans une bagarre que du reste elle ne prévoit pas. Et voici sa conclusion : «Nous sommes gouvernés par de la canaille.»
Le 24 février, le peuple de Paris est debout. George Sand accourt de Nohant, à la première nouvelle de la Révolution. Elle vient mettre sa plume à la disposition du Gouvernement provisoire : on l'utilisera. Le 6 mars, elle écrit à son ami Girerd, commissaire de la République à Nevers : «Tout va bien. Les chagrins personnels disparaissent quand la vie publique nous appelle et nous absorbe. La République est la meilleure des familles, le peuple est le meilleur des amis.» Elle lui envoie-car elle est l'auteur de sa nomination-les instructions suivantes, au nom du citoyen Ledru-Rollin, ministre de l'Intérieur : «Agis avec vigueur, mon cher frère. Dans une situation comme celle où nous sommes, il ne faut pas seulement du dévouement et de la loyauté, il faut du fanatisme au besoin. Il faut s'élever au-dessus de soi-même, abjurer toute faiblesse, briser ses propres affections si elles contrarient la marche d'un pouvoir élu par le peuple et réellement, foncièrement révolutionnaire.
«Elle lui en offre une preuve en sacrifiant un ami que, d'ailleurs, elle a cessé d'aimer-ce qui amoindrit son mérite d'héroïne à la Corneille : «Ne t'apitoie pas sur le sort de Michel (de Bourges) ; Michel est riche, il est ce qu'il a souhaité, ce qu'il a choisi d'être. Il nous a trahis, abandonnés, dans les mauvais jours. A présent, son orgueil,
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