George Sand et ses amis
de la pensée humaine, et, vous faisant jour au sein des ténèbres du catholicisme, vous avez été emporté par l'esprit de Dieu, assez haut pour crier cet oracle que je répète du matin au soir : «Plus il fait clair, mieux on voit Dieu !» Alors elle l'interroge, elle l'adjure, elle le presse : «Pourquoi êtes-vous avec ceux que Dieu ne veut pas éclairer, et non avec ceux qu'il éclaire ? pourquoi vous placez-vous entre la bourgeoisie et le prolétariat ?... Vous avez de la conscience, vous êtes pur, incorruptible, sincère, honnête dans toute l'acception du mot en politique, je le sais maintenant ; mais qu'il vous faudrait de force, d'enthousiasme, d'abnégation et de pieux fanatisme pour être en prose le même homme que vous êtes en vers !...
Mais non, vous n'êtes pas fanatique, et cependant vous devriez l'être, vous à qui Dieu parle sur le Sinaï. Vous devez porter les feux dont vous avez été embrasé dans votre rencontre avec le Seigneur, au milieu des glaces où les mauvais coeurs languissent et se paralysent. Vous êtes un homme d'intelligence et un homme de bien. Il vous reste à être un homme vertueux. Faites, ô source de lumière et d'amour, que le zèle de votre maison dévore le coeur de cette créature d'élite !»
Lamartine, sur ses sommets, n'entendit pas l'appel de George Sand, et ce fut pour elle un prémier déboire. Elle en éprouva un second, encore plus amer, en cette journée du 17 avril où deux cent mille bouches proférèrent les cris : «Mort aux communistes ! Mort à Cabet !» Le soir même, elle écrit à Maurice une lettre désespérée : «J'ai bien dans l'idée que la République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du moins dans son prochain avenir.» Elle s'apitoie sur ceux qui seront les vaincus, les victimes, les proscrits, et plus particulièrement sur Barbès, en qui elle voit-étrange rapprochement !-la vertu de Jeanne d'Arc et la pureté de Robespierre l'incorruptible. Il lui semble que son rôle, à elle, son rôle civique est fini, qu'il est temps de regagner Nohant. Elle a rédigé un Bulletin qu'elle déclare «un peu raide» et qui a déchaîné toutes les fureurs de la bourgeoisie. Un moment, elle reprend courage, le 20 avril, devant la fête de la Fraternité, «la plus belle journée de l'histoire», où un million d'âmes communient dans la religion d'amour : «Du haut de l'Arc de l'Etoile, le ciel, la ville, les horizons, la campagne verte, les dômes des grands édifices dans la pluie et dans le soleil, quel cadre pour la plus gigantesque scène humaine qui se soit jamais produite !
De la Bastille, de l'Observatoire à l'Arc de triomphe, et au delà et en deçà hors de Paris, sur un espace de cinq lieues, quatre cent mille fusils pressés comme un mur qui marche, l'artillerie, toutes les armes de la ligne, de la mobile, de la banlieue, de la garde nationale, tous les costumes, toutes les pompes de l'armée, toutes les guenilles de la sainte canaille, et toute la population de tout âge et de tout sexe pour témoin, chantant, criant, applaudissant, se mêlant au cortège. C'était vraiment sublime.» Trois semaines s'écoulent. Le 15 mai, l'Assemblée Constituante, à peine réunie, est envahie sous prétexte d'une manifestation en faveur de la Pologne. George Sand, qui avait l'âme polonaise-en ce temps-là on exécrait la Russie-s'est mêlée à la foule des pétitionnaires, sans peut être conniver à leur dessein de violer la représentation nationale. Elle est dénoncée, compromise, et se retire à Nohant, d'où elle envoie des articles au journal ultra démocratique du citoyen Théophile Thoré, la Vraie République. Par ainsi elle se sépare de Ledru-Rollin, qui devient suspect de modérantisme et que, dans certains départements, on appelait le duc Rollin. Dans le Berry, une réaction forcenée domine. Les bourgeois racontent, et les paysans croient, que George Sand est l'ardent disciple du père Communisme, «un gaillard très méchant qui brouille tout à Paris et qui veut que l'on mette à mort les enfants au-dessous de trois ans et les vieillards au-dessus de soixante.» Comment réfuter de telles inepties, propagées par le fanatisme, accueillies par l'ignorance et la sottise ? George Sand épanche sa tristesse dans des lettres indignées, adressées soit à Barbès, détenu au donjon de Vincennes, soit à Joseph Mazzini, qui caressait à Milan son beau rêve de l'unité italienne, avec la glorieuse
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