George Sand et ses amis
lettre du 4 août 1850, adressée à Mazzini : «Croyez-moi, ceux qui sont toujours en voix et qui chantent d'eux-mêmes, sont des égoïstes qui ne vivent que de leur propre vie. Triste vie que celle qui n'est pas une émanation de la vie collective. C'est ainsi que bavarde, radote et divague ce pauvre Lamartine, toujours abondant en phrases, toujours ingénieux en appréciations contradictoires, toujours riche en paroles et pauvre d'idées et de principes ; il s'enterre sous ses phrases et ensevelit sa gloire, son honneur peut-être, sous la facilité prostituée de son éloquence.» Est-elle plus favorable à Victor Hugo ? Il s'échauffait pour la République à l'époque même où, tout au contraire, elle commençait à se refroidir.
On ne trouve dans la Correspondance aucune appréciation sur les discours, gonflés d'emphase et d'antithèses, qu'il prononçait à la Législative, mais bien ce passage un peu rude qui vise les Contemplations : «Je n'ai jamais compris les poètes faisant des vers sur la tombe de leur mère et de leurs enfants. Je ne saurais faire de l'éloquence sur la tombe de la patrie !» Elle n'en fera même pas sur les ruines de la liberté. Au fond de l'âme, elle était, sinon impérialiste et napoléonienne, du moins teintée de bonapartisme. Un régime consulaire devait lui agréer. De là ses sympathies, avant et pendant l'Empire, pour Jérôme Napoléon, le prince qui se disait républicain. Au 10 décembre 1848, quand le suffrage universel alla jusqu'à préférer le neveu de l'Empereur au général Cavaignac, George Sand voulut voir dans ce résultat un triomphe, non pas de l'esprit rétrograde, mais du socialisme et même du communisme dont alors elle était férue. Cette opinion paradoxale inspire l'article intitulé : A propos de l'élection de Louis Bonaparte à la présidence de la République. Trois ans plus tard, on souhaiterait que la démocrate exaltée de 1848 s'indignât devant le 2 Décembre, devant la victoire de la force brutale, le triomphe du parjure et la violation du droit. Or, elle écrit simplement de Nohant, le 6 décembre 1851, à son amie madame Augustine de Bertholdi : «Chère enfant, rassure-toi. Je suis partie de Paris, le 4 au soir, à travers la fusillade, et je suis ici avec Solange, sa fille, Maurice, Lambert et Manceau.»-Lambert était un peintre, ami de Maurice ; Manceau, un graveur, mi-artisan, mi-artiste, qu'elle avait attaché à sa personne et qui demeura quinze ans en fonctions, lentement phtisique. Il eut le chant du cygne.-Elle poursuit : «Le pays est aussi tranquille qu'il peut l'être, au milieu d'événements si imprévus.
Cela tue mes affaires qui étaient en bon train.» Voilà le cri de l'égoïsme ou de la lassitude ! Puis elle reprend : «N'importe ! tant d'autres souffrent en ce monde, qu'on n'a pas le droit de s'occuper de soi-même.» Et ce vague correctif est la seule protestation que lui arrache le coup d'Etat, l'assassinat de cette République qu'elle a tant aimée. Elle garde le silence, alors que partent en exil Victor Hugo, Charras, Edgar Quinet, Barni, Emile Deschanel, et tant d'autres, les meilleurs citoyens, demeurés les serviteurs de la liberté. Elle désarme et capitule.
Sans doute elle profite de ses relations amicales avec le prince Jérôme pour le prier d'intercéder auprès de son cousin et solliciter quelques grâces en faveur de républicains livrés aux commissions mixtes, et condamnés à la prison, à la déportation ou au bannissement. Elle demande qu'on relaxe Fleury, Périgois, Aucante. Mais, s'il faut reconnaître la générosité de l'intention, le ton des lettres est parfois déconcertant. Dès le 3 janvier 1852, elle s'adresse à Son Altesse le Prince Jérôme Napoléon, et les réponses inédites de son impérial correspondant mériteraient d'être publiées. Il écrit le 14 janvier : «On m'a promis, mais toujours avec des restrictions, on n'obtient pas, on arrache !» Le 18 février, il la félicite de dérober le plus de victimes possible à la réaction. Et le 27 mai : «Voici, dit-il, une occasion pour moi d'être utile à de malheureux républicains dont je partage les opinions.» Langage de prince, qui se déclare démocrate, mais qui a accepté une grosse dotation et, l'Empire rétabli, habitera au Palais-Royal !
C'est au Président lui même que George Sand demande une audience, le 26 janvier 1852, en une longue lettre dont il faut retenir les passages essentiels : «Je ne
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