George Sand et ses amis
suis pas madame de Staël. Je n'ai ni son génie ni l'orgueil qu'elle mit à lutter contre la double force du génie et de la puissance... Prince, je vous ai toujours regardé comme un génie socialiste, et, le 2 Décembre, après la stupeur d'un instant, en présence de ce dernier lambeau de société républicaine foulé aux pieds de la conquête, mon premier cri a été : «O Barbès, voilà la souveraineté du but ! Je ne l'acceptais pas même dans ta bouche austère : mais voilà que Dieu te donne raison et qu'il l'impose à la France, comme sa dernière chance de salut, au milieu de la corruption des esprits et de la confusion des idées... Vous qui, pour accomplir de tels événements, avez eu devant les yeux une apparition idéale de justice et de vérité, il importe bien que vous sachiez ceci : c'est que je n'ai pas été seule dans ma religion à accepter votre avènement avec la soumission qu'on doit à la logique de la Providence.» Enfin, la lettre se termine par ces mots : «Amnistie, amnistie bientôt, mon Prince !» A travers l'appel à la pitié, c'est l'acquiescement au régime issu du coup d'Etat. Tandis qu'elle adresse encore à Jules Hetzel, le 20 février 1832, une profession de foi républicaine où elle atteste que «toute la sève était dans quelques hommes aujourd'hui prisonniers, morts ou bannis,» George Sand écrit, le 1er du même mois, au chef de cabinet du ministre de l'Intérieur : «Le peuple accepte, nous devons accepter.» Et le même jour, hélas ! qu'elle renouvelait à Hetzel l'assurance de son républicanisme, elle disait humblement au Prince-Président : «Prenez la couronne de la clémence ; celle-là, on ne la perd jamais.»
Puis le mois suivant : «Prince, prince, écoutez la femme qui a des cheveux blancs et qui vous prie à genoux ; la femme cent fois calomniée, qui est toujours sortie pure, devant Dieu et devant les témoins de sa conduite, de toutes les épreuves de la vie, la femme qui n'abjure aucune de ses croyances et qui ne croit pas se parjurer en croyant en vous. Son opinion laissera peut-être une trace dans l'avenir.»
Dans le camp républicain, parmi les proscrits et les vaincus, on la désavoue, on lui crie : «Vous vous compromettez, vous vous perdez, vous vous déshonorez, vous êtes bonapartiste.» Elle s'en défend, mais elle déclare au Prince qu'elle est le seul esprit socialiste qui lui soit resté personnellement attaché, malgré tous les coups frappés sur son Eglise. Elle confesse à son brave ami Fleury que s'il fallait tomber dans un pouvoir oligarchique et militaire, elle aime autant celui-ci. Lorsque l'Empire est proclamé, elle s'incline devant le fait accompli. Que dis-je ? elle a déjà répudié ses anciens compagnons d'armes, dans une ample lettre à Mazzini, du 23 mai 1852, qui contient ce triste passage : «La grande vérité, c'est que le parti républicain, en France, composé de tous les éléments possibles, est un parti indigne de son principe et incapable, pour toute une génération, de le faire triompher.» Est-ce bien là ce qu'elle pense du parti qui comptait dans ses rangs Lamartine, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Michelet, Edgar Quinet, Barbès, Victor Hugo ? Ceux-là n'ont pas chanté la palinodie. Et Mazzini, que de tels aveux devaient navrer, mais qui restait courtois devant la faiblesse d'une femme, prononce le mot de résignation. Elle est plus que résignée à l'Empire, elle est ralliée, ou peu s'en faut.
Qu'elle retourne à la littérature ! De nouveaux chefs-d'oeuvre vont pallier les défaillances et les virevoltes de sa politique.
CHAPITRE XXIV - LES ROMANS CHAMPÊTRES
La rude commotion de 1848 eut l'effet inattendu de renouveler le talent de George Sand, en la soustrayant aux préoccupations politiques et sociales qui risquaient d'accaparer sa pensée et de restreindre son horizon littéraire. Issue de la lignée intellectuelle de Jean-Jacques, elle était, comme son glorieux ancêtre, tour à tour sollicitée par les problèmes du Contrat social et par la contemplation de la nature. C'est celle-ci qui va définitivement triompher. La sociologie-pour user du néologisme créé par Auguste Comte-devra s'avouer vaincue, après avoir ajouté au bagage de George Sand le Compagnon du Tour de France, le Meunier d'Angibault et le Péché de Monsieur Antoine. Jamais, à dire vrai, l'auteur de Mauprat et de Consuelo n'avait déserté ce filon purement romanesque qui était la vraie richesse de son
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