George Sand et ses amis
poitrine, à sa figure tirée et à la rougeur de ses pommettes. La maladie consistait en une fièvre nerveuse typhoïde [«Une typhoïdette compliquée de délire alcoolique,» dit Pietro Pagello dans son entretien avec le docteur Cabanès. (Le Cabinet secret de l'Histoire, page 303.)]. La cure fut longue et difficile, par suite surtout de l'état agité du malade, qui fut mourant durant plusieurs jours.
Enfin le mal prit une tournure favorable, et le malade se rétablit peu à peu. George Sand, durant toute la maladie, le soigna avec l'empressement d'une mère, constamment assise, nuit et jour, auprès de son lit, prenant à peine quelques heures de repos, sans se déshabiller et seulement lorsque je la remplaçais.»
Doute-t-on du témoignage de Pagello en faveur de la sollicitude vraiment maternelle de George Sand ? Il est corroboré par le plus intime ami de Musset, Alfred Tattet, qui, de passage à Venise, avait séjourné auprès du malade et écrivait de Florence à Sainte-Beuve, le 17 mars 1834 : «J'ai tâché de procurer quelques distractions à madame Dudevant, qui n'en pouvait plus ; la maladie d'Alfred l'avait beaucoup fatiguée. Je ne les ai quittés que lorsqu'il m'a été bien prouvé que l'un était tout à fait hors de danger et que l'autre était entièrement remise de ses longues veilles. Soyez donc maintenant sans inquiétude, mon cher monsieur de Sainte-Beuve ; Alfred est dans les mains d'un jeune homme tout dévoué, très capable, et qui le soigne comme un frère. Il a remplacé auprès de lui un âne qui le tuait tout bonnement. Dès qu'il pourra se mettre en route, madame Dudevant et lui partiront pour Rome, dont Alfred a un désir effréné.»
Ainsi Alfred Tattet rend, le plus formel et le plus élogieux hommage aux soins combinés de George Sand et du docteur Pagello. Il n'a rien vu, rien pressenti qui éveillât ses soupçons. Lié à Musset par la plus étroite camaraderie, il n'a recueilli de sa bouche aucune plainte, pas la moindre allusion à la scène mystérieuse et dramatique que le poète des Nuits n'a jamais retracée, mais qui, sous la plume haineuse de son frère, devient la plus cruelle des incriminations.
L'âme généreuse d'Alfred de Musset ne peut ni avoir conçu ni avoir autorisé cette vengeance posthume. Aussi bien n'eût-il pas songé à partir avec George Sand pour Rome, si elle l'avait misérablement et cyniquement trompé.
CHAPITRE X - LE DOCTEUR PAGELLO
Avant d'examiner comment au chevet d'un malade la sympathie et la tendresse ont pu naître entre le docteur Pagello et George Sand, il importe, pour bien établir des responsabilités morales qui seront assez lourdes, de préciser s'il y avait rupture d'intimité entre Alfred de Musset et sa compagne de voyage. Cette rupture n'est pas niable. George Sand s'en explique catégoriquement, dans une des lettres qu'elle écrivit au cours des réconciliations et des brouilles qui se succédèrent durant l'hiver 1834-1835 : «De quel droit d'ailleurs m'interroges-tu sur Venise ? Etais-je à toi à Venise ? Dès le premier jour, quand tu m'as vue malade, n'as-tu pas pris de l'humeur, en disant que c'était bien triste et bien ennuyeux, une femme malade ? et n'est-ce pas du premier jour que date notre rupture ? Mon enfant, moi, je ne veux pas récriminer, mais il faut bien que tu t'en souviennes, toi qui oublies si aisément les faits. Je ne veux pas dire tes torts, jamais je ne t'ai dit seulement ce mot-là, jamais je ne me suis plainte d'avoir été enlevée à mes enfants [Est-ce qu'un jeune homme de vingt-trois ans peut enlever une femme de trente ans ?], à mes amis, à mon travail, à mes affections et à mes devoirs, pour être conduite à trois cents lieues et abandonnée avec des paroles si offensantes et si navrantes, sans aucun autre motif qu'une fièvre tierce, des yeux abattus et la tristesse profonde où me jetait ton indifférence. Je ne me suis jamais plainte, je t'ai caché mes larmes, et ce mot affreux a été prononcé, un certain soir que je n'oublierai jamais, dans le casino Danieli : «George, je m'étais trompé, je t'en demande pardon, mais je ne t'aime pas.» Si je n'eusse été malade, si on n'eût dû me saigner le lendemain, je serais partie ; mais tu n'avais pas d'argent, je ne savais pas si tu voudrais en accepter de moi, et je ne voulais pas, je ne pouvais pas te laisser seul, en pays étranger, sans entendre la langue et sans un sou.
La porte de nos chambres fut fermée
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