George Sand et ses amis
l'estime de Jacques, partant de George Sand, les êtres humains ne sont rendus malheureux que par les liens indissolubles. Mais Octave, qui connaît les approches et les détours du coeur féminin, excelle à apaiser les scrupules de Fernande qu'il veut séduire, en lui offrant les joies éthérées de la tendresse platonique. «Ah ! je saurai, s'écrie-t-il, m'élever jusqu'à toi, et planer du même vol au-dessus des orages des passions terrestres, dans un ciel toujours radieux, toujours pur. Laisse-moi t'aimer, et laisse-moi donner encore le nom d'amour à ce sentiment étrange et sublime que j'éprouve ; amitié est un mot trop froid et trop vulgaire pour une si ardente affection ; la langue humaine n'a pas de nom pour la baptiser.»
Depuis George Sand, et tout récemment, le baptême a eu lieu. Une brillante élève de Guy de Maupassant n'a-t-elle pas défini et dénommé ce sentiment complexe et subtil, un peu hypocrite, mais suprêmement habile pour obtenir de l'avancement, quand elle a composé son joli roman, Amitié amoureuse ?
C'est de l'avancement, en effet, que ne tarde pas à réclamer Octave, et il a une singulière façon de postuler. Sa passion s'exaspère, au moment où Fernande sèvre ses jumeaux ; car cette femme poétique fut une nourrice accomplie, qui, fidèle aux leçons de l'Emile, n'eut garde de recourir aux Remplaçantes qu'a flétries M. Brieux. Et voici en quels termes elle est admonestée par Octave : «Quand vous parliez de votre mari, sans blasphémer un mérite que personne n'apprécie mieux que moi, sans nier une affection que je ne voudrais pas lui arracher, vous aviez le secret ineffable de me persuader que ma part était aussi belle que la sienne, quoique différente. A présent, vous avez le talent inutile et cruel de me montrer combien sa part est magnifique et la mienne ridicule. Ne pouviez-vous me cacher ce tripotage d'enfants et de berceaux ? me comprenez-vous ? Je ne sais comment m'expliquer, et je crains d'être brutal ; car je suis aujourd'hui d'une singulière âcreté. Enfin, vous avez fait emporter vos enfants de votre chambre, n'est-ce pas ? A la bonne heure. Vous êtes jeune, vous avez des sens ; votre mari vous persécutait pour hâter ce sevrage. Eh bien ! tant mieux ! vous avez bien fait : vous êtes moins belle ce matin, et vous me semblez moins pure. Je vous respectais dans ma pensée jusqu'à la vénération, et en vous voyant si jeune, avec vos enfants dans vos bras, je vous comparais à la Vierge mère, à la blanche et chaste madone de Raphaël caressant son fils et celui d'Elisabeth.
Dans les plus ardents transports de ma passion, la vue de votre sein d'ivoire, distillant un lait pur sur les lèvres de votre fille, me frappait d'un respect inconnu, et je détournais mon regard de peur de profaner, par un désir égoïste, un des plus saints mystères de la nature providente. A présent, cachez bien votre sein, vous êtes redevenue femme, vous n'êtes plus mère ; vous n'avez plus de droit à ce respect naïf que j'avais hier, et qui me remplissait de piété et de mélancolie. Je me sens plus indifférent et plus hardi.»
Aussi bien Jacques, l'époux héroïque, confiant et trahi, qui refuse de se venger et préfère se sacrifier, personnage surhumain dont nous avons vu l'équivalent dans le drame de M. Gabriel Trarieux, A la Clarté des Etoiles, pose par lettre à l'amant un singulier questionnaire. En voici la teneur, qui est destinée à lui épargner l'embarras d'une explication verbale :
«1° Croyez-vous que j'ignore ce qui s'est passé entre vous et une personne qu'il n'est pas besoin de nommer ?
«2° En revenant ici, ces jours derniers, en même temps qu'elle, et en vous présentant à moi avec assurance, quelle a été votre intention ?
«3° Avez-vous pour cette personne un attachement véritable ? Vous chargeriez-vous d'elle, et répondriez-vous de lui consacrer votre vie, si son mari l'abandonnait ?»
Octave, ainsi interrogé, s'explique en trois points, comme s'il était dans le cabinet d'un juge d'instruction :
«1° Je savais, en quittant la Touraine, que vous étiez informé de ce qui s'est passé entre elle et moi ;
«2° Je suis venu ici pour vous offrir ma vie en réparation de l'outrage et du tort que je vous ai fait ; si vous êtes généreux envers elle, je découvrirai ma poitrine, et je vous prierai de tirer sur moi ou de me frapper avec l'épée, moi les mains vides ; mais si vous devez vous venger
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