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George Sand et ses amis

George Sand et ses amis

Titel: George Sand et ses amis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert le Roy
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fougueux plaisirs où tu cherchais vainement ton refuge, l'esprit mystérieux vint te réclamer et te saisir. Il fallait que tu fusses poète, tu l'as été en dépit de toi-même. Tu abjuras en vain le culte de la vertu ; tu aurais été le plus beau de ses jeunes lévites ; tu aurais desservi ses autels en chantant sur une lyre d'or les plus divins cantiques, et le blanc vêtement de la pudeur aurait paré ton corps frêle d'une grâce plus suave que le masque et les grelots de la Folie... Tu poursuivais ton chant sublime et bizarre, tout à l'heure cynique et fougueux comme une ode antique, maintenant chaste et doux comme la prière d'un enfant.
    Couché sur les roses que produit la terre, tu songeais aux roses de l'Eden qui ne se flétrissent pas ; et, en respirant le parfum éphémère de tes plaisirs, tu parlais de l'éternel encens que les anges entretiennent sur les marches du trône de Dieu. Tu l'avais donc respiré, cet encens ? Tu les avais donc cueillies, ces roses immortelles ? Tu avais donc gardé, de cette patrie des poètes, de vagues et délicieux souvenirs qui t'empêchaient d'être satisfait de tes folles jouissances d'ici-bas ?» Et cette éloquente apostrophe aboutit à une véridique peinture de la mélancolie du poète, mal incurable au sein des voluptés. Tel le goût amer dont parle Lucrèce, et qui corrompt ou dénature la douceur du breuvage : «Suspendu entre la terre et le ciel, avide de l'un, curieux de l'autre, dédaigneux de la gloire, effrayé du néant, incertain, tourmenté, changeant, tu vivais seul au milieu des hommes ; tu fuyais la solitude et la trouvais partout. La puissance de ton âme te fatiguait. Tes pensées étaient trop vastes, tes désirs trop immenses, tes épaules débiles pliaient sous le fardeau de ton génie. Tu cherchais dans les voluptés incomplètes de la terre l'oubli des biens irréalisables que tu avais entrevus de loin. Mais quand la fatigue avait brisé ton corps, ton âme se réveillait plus active et ta soif plus ardente. Tu quittais les bras de tes folles maîtresses pour t'arrêter en soupirant devant les vierges de Raphaël.-Quel est donc, disait à propos de toi un pieux et tendre songeur, ce jeune homme qui s'inquiète tant de la blancheur des marbres ?»
    Dans ce récit à mots couverts, mais transparent, quelle sera l'explication que donnera George Sand de leur rupture, et qui doit satisfaire à la fois Musset, Pagello, elle-même, le public et la vérité ? C'est peut-être, sous la grâce et la sinuosité des métaphores, le passage le plus audacieux de la première Lettre : «Ton corps, aussi fatigué, aussi affaibli que ton coeur, céda au ressentiment de ses anciennes fatigues, et comme un beau lis se pencha pour mourir. Dieu, irrité de ta rébellion et de ton orgueil, posa sur ton front une main chaude de colère, et, en un instant, tes idées se confondirent, ta raison t'abandonna. L'ordre divin établi dans les fibres de ton cerveau fut bouleversé. La mémoire, le discernement, toutes les nobles facultés de l'intelligence, si déliées en toi, se troublèrent et s'effacèrent comme les nuages qu'un coup de vent balaie. Tu te levas sur ton lit en criant :-Où suis-je, ô mes amis ? pourquoi m'avez-vous descendu vivant dans le tombeau ?-Un seul sentiment survivait en toi à tous les autres, la volonté, mais une volonté aveugle, déréglée, qui courait comme un cheval sans frein et sans but à travers l'espace. Une dévorante inquiétude te pressait de ses aiguillons ; tu repoussais l'étreinte de ton ami, tu voulais t'élancer, courir. Une force effrayante te débordait.-Laissez-moi ma liberté, criais-tu, laissez-moi fuir ; ne voyez-vous pas que je vis et que je suis jeune ?-Où voulais-tu donc aller ? Quelles visions ont passé dans le vague de ton délire ? Quels célestes fantômes t'ont convié à une vie meilleure ? Quels secrets insaisissables à la raison humaine as-tu surpris dans l'exaltation de ta folie ? Sais-tu quelque chose à présent, dis-moi ? Tu as souffert ce qu'on souffre pour mourir ; tu as vu la fosse ouverte pour te recevoir ; tu as senti le froid du cercueil, et tu as crié :-Tirez-moi, tirez-moi de cette terre humide !»
    Ainsi se trouve relatée et affirmée par George Sand l'hallucination étrange et morbide d'Alfred de Musset à Venise, et cela précisément dans une Lettre qu'elle le chargea de relire, de corriger, de transmettre à la Revue des Deux Mondes, si mieux il n'aimait

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