George Sand
quelque chose de l'âme humaine, une pensée ou un sentiment. Le paysage ne va jamais seul, chez elle ; il est choisi en harmonie ou en contraste avec l'état de l'âme qui s'y répand. Mais ce contraste lui-même est une sorte particulière d'harmonie plus intime. Au moment où il semble que, dans l'imposante solitude des montagnes, tout le reste va être oublié, il surgira de l'ombre du rocher une petite pastoure espagnole, et nous voilà qui mettons dans un coin du paysage son piquant profil, son joli sourire, sa chevelure flottante, mêlée au vent comme la queue d'une jeune cavale.
Et ainsi l'âme, en retrouvant la figure humaine, se détend de la grandeur trop austère que lui imposent les cimes et les torrents. Si nos regards se perdent dans les horizons de la mer, on nous y montre une voile, et sous cette voile nous devinons un rude travailleur qui peine et qui souffre. S'ils se portent vers les profondeurs sans limites du ciel, on nous y fait supposer des peuples d'âmes inconnues, animant de leurs joies ou de leurs souffrances la bleue immensité. Toujours un sentiment joue autour du paysage et ajoute à l'infini de la nature l'infini plus mystérieux de l'âme. Une fleur, une herbe, tout s'harmonise avec nos pensées. Des traits charmants éclatent à chaque instant à travers les dialogues ou les rêveries, comme celui-ci : «En portant mes mains à mon visage, je respirai l'odeur d'une sauge dont j'avais touché les feuilles quelques heures auparavant. Cette petite plante fleurissait maintenant sur la montagne, à plusieurs lieues de moi. Je l'avais respectée ; je n'avais emporté d'elle que son exquise senteur. D'où vient qu'elle l'avait laissée ? Quelle chose précieuse est donc le parfum, qui, sans rien faire perdre à la plante dont il émane, s'attache aux mains d'un ami, et le suit en voyage pour le charmer et lui rappeler longtemps la beauté de la fleur qu'il aime ? Le parfum de l'âme, c'est le souvenir...» Cette page m'a toujours frappé comme un exemple de l'heureuse facilité avec laquelle Mme Sand mêle l'âme aux choses et l'homme à la nature.
On n'oublie plus ces paysages. Ils se marient si bien à la situation du roman ou au caractère des personnages, que les deux souvenirs restent inséparablement liés et n'en font bientôt plus qu'un. Est-il possible de penser à Valentine sans se reporter à cette scène enchanteresse où son âme, vaguement impatiente d'amour, en pressent le mystérieux appel dans la campagne déserte, qu'elle traverse seule, le soir de la fête, au pas négligent de son cheval, quand tout à coup, aux murmures de l'eau voisine et de la brise qui s'élève, vient se joindre une voix pure, un chant jeune et vibrant ?
C'est Bénédict qui s'approche, c'est la rencontre, c'est l'amour ; la destinée fait son oeuvre. Et André, qui de nous ne saurait le retrouver, s'il l'avait perdu ?
Il est là, bien sûr, dans cette gorge inhabitée, où de rivière coule silencieusement entre deux marges la verdure, promenant les rêves de son adolescence romanesque et troublée. Il est là, je l'ai vu, évoquant ses héroïnes, Alice et Diana Vernon, derrière ce massif de trembles où il a cru voir un jour passer une ombre, une fée, qui sera Geneviève.—Il y a des attitudes qui restent gravées dans l'esprit. «Il m'enveloppa dans mon couvre-pied de satin rose et me porta auprès de la fenêtre. Je jetai un cri de joie et d'admiration à la vue du sublime aspect déployé sous mes yeux. Ce site sauvage et romantique me plaît à la folie... Ah ! ne changeons rien aux lieux que tu aimes, Jacques ! Comment aurais-je d'autres goûts que les tiens ? Crois-tu donc que j'aie des yeux à moi ?» Ainsi écrivait, ainsi parlait Fernande, et plus tard, quand Octave aura passé dans sa vie et que Jacques sera trahi, nous la reverrons involontairement à cette fenêtre d'où elle aperçut ses riches domaines, et nous saisirons là, dans cette attitude et dans ce moment, les faciles extases d'une âme faible.—Mauprat ! son nom seul évoque l'ombre sinistre de son château effondré, la herse brisée, les traces du feu encore fraîches sur les murs et le souterrain à demi comblé où Edmée sentit défaillir son courage. Sténio, enfin, le charmant poète, allez le contempler pour la dernière fois dans le premier de ses sommeils que ne vint pas troubler l'orgueilleuse et orageuse image de Lélia.
Le voilà, baigné du flot bleu, les pieds ensevelis dans le sable de
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