George Sand
rencontra plusieurs fois dans les années de son noviciat littéraire à Paris. Elle déclare elle-même, avec un éclectisme très dégagé et une spirituelle tolérance, que toute manière est bonne et tout sujet fécond pour qui sait s'en servir. «Il est heureux, disait-elle, qu'il en soit ainsi. S'il n'y avait qu'une doctrine dans l'art, l'art périrait vite, faute de hardiesse et de tentatives nouvelles.» Balzac était une preuve vivante à l'appui de sa théorie. «Elle poursuivait l'idéalisation du sentiment qui faisait le sujet de son roman, tandis que Balzac sacrifiait cet idéal à la vérité de sa peinture.» Mais il se gardait bien de faire de ce sacrifice un programme d'école ; c'était une simple tendance de son esprit qu'il exprimait ainsi. Plus libéral que ne le furent plus tard ses disciples, il admettait au même titre la tendance contraire et félicitait Mme Sand d'y rester fidèle. Ainsi, ces deux grands artistes se maintenaient justes et tolérants l'un pour l'autre. Balzac, d'ailleurs, lui aussi, ne s'asservissait pas à un dogme. Il essayait de tout ; il cherchait et tâtonnait pour son propre compte. Ce n'est que beaucoup plus tard que l'école, s'étant formée, attribua au chef un système absolu qui n'avait été d'abord qu'une préférence de goût.
À plus forte raison peut-on le dire des dynasties qui se sont succédé depuis Balzac, et dont les chefs principaux n'ont fait que rédiger dans des programmes les qualités dominantes de leur esprit, soit Flaubert, l'homme d'un chef-d'oeuvre unique et d'un immense labeur, soit les frères Goncourt, deux artistes de la sensation subtile et aiguë, soit Alphonse Daudet, dont l'observation profonde et cruelle a eu de si fortes prises sur les esprits de son temps, ou bien encore Zola, qui a créé l'épopée du roman ultra-démocratique, le maître de l'Assommoir et de Germinal, jusqu'à l'avènement nouveau de Paul Bourget et de Guy de Maupassant, l'un psychologue raffiné et souffrant «du mal de la vie», l'autre doué d'un humour naturel et d'un style de race qui dissimulent mal un fond effrayant de mépris pour l'homme, peut-être même, si l'on pénètre plus loin, une tristesse presque tragique.
En réalité, peut-on dire que chacun de ces noms représente une école ? Assurément non ; ce qu'il faut y voir, ce sont des diversités d'esprits à l'infini, dont chacun s'attribue l'initiative et la souveraineté d'un genre nouveau ; il y a des variations de genres d'un esprit à un autre, comme, à certains moments, il y a des variations du goût dans l'esprit public. Les modes n'ont qu'un temps ; elles se succèdent les unes aux autres sans se détruire et même sans se remplacer, par une sorte de rythme régulier. Nul ne peut dire de quel côté ira la génération prochaine, quand on sera fatigué des excès de l'observation brutale. Ce sera peut-être l'occasion de revenir à George Sand, trop délaissée un instant par une époque exclusivement positive, amoureuse des faits plus que des idées, éprise de méthodes expérimentales là même où elles n'ont que faire, et défiante des belles chimères. Et déjà paraissent chez des esprits en éveil des symptômes d'une réaction vers la créatrice de tant de beaux romans.
George Sand était portée, par son tempérament d'esprit, à la conception d'aventures plus ou moins chimériques, au conflit des passions idéales avec des événements imaginaires ; elle s'y complaisait délicieusement. Mais on se tromperait fort en croyant qu'elle observât médiocrement la vie réelle et qu'elle ne s'en inspirât que rarement.
Que de preuves nous pourrions donner du contraire ! Dira-t-on qu'elle n'est pas, en même temps qu'une merveilleuse artiste d'inventions superbes, une psychologue pénétrante dans presque toutes ses oeuvres, dans certaines parties au moins ?
Au moment où elle écrivait ses premiers romans, à l'aurore de sa vie littéraire, que d'observations fines et variées elle déploie déjà, quelle expérience de la vie réelle, profondément sentie, se révèle, bien que moins en dehors que chez Balzac, moins étalée en surface, mais bien délicate et d'un ton si juste, jusqu'au moment où la chimère s'empare de l'auteur et l'emporte avec le lecteur au ciel ou aux abîmes.
Vous rappelez-vous, au hasard des premières oeuvres, l'intérieur glacial de ce petit castel de la Brie ? Comme cela est bien vu, finement observé ! Comme toutes ces attitudes diverses ont
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