George Sand
délicates, qu'il faut bien en passer par la fantaisie de l'auteur, et vraiment on aurait mauvaise grâce à résister au charme qui vous pénètre et vous entraîne.
Le roman, ainsi conçu, est tout simplement de la poésie. Soit. Est-ce donc là quelque chose de si malheureux, et George Sand perdra-t-elle quelque chose à une accusation de ce genre ? Il faut bien que le roman se rapproche de la poésie ou de la science. Le roman scientifique est en grand honneur de nos jours : la science des moeurs, des institutions, des classes sociales, des caractères et des tempéraments, des influences physiologiques et médicales qui déterminent l'individualité de chacun, des hérédités que l'on subit à travers les âges, voilà la matière indéfinie et toujours variée du roman expérimental. Mais faut-il sacrifier à ce genre unique tous les autres genres et en particulier celui qui considère le roman comme une oeuvre à la fois d'analyse et de poésie, comme George Sand le définissait d'instinct ?
Prenons garde, le roman selon George Sand, c'est le vrai roman national ; si nous en croyons les interprètes des origines de notre littérature [«Roman, veut dire, au moyen âge, composition en langue romane, c'est-à-dire en français, et spécialement, comme les compositions le plus en honneur sont les chansons de geste, il prend le sens de chanson de geste. À la fin du moyen âge, il veut dire successivement chanson de geste mise en prose (roman de chevalerie), histoire en prose de quelques grandes aventures imaginaires, puis histoire en prose de quelques aventures inventées à plaisir, et finalement récit inventé à plaisir. Qu'on aille retrouver dans cette dernière évolution de sens la poésie écrite en roman !» (A. Darmesteter, la Vie des mots, p. 16).], il est né des anciennes chansons de geste ; il est de la même famille que la poésie ; et qui pourra d'ailleurs démontrer qu'on a tort de le comprendre ainsi ?
On notera, avec un soin pédantesque, les invraisemblances qui abondent dans les fictions de George Sand. Mais ne serait-il pas aisé de noter, en regard de l'invraisemblance des événements que l'on peut signaler chez elle, le défaut de logique des caractères chez les naturalistes le plus en vogue, l'incohérence des sentiments, la bizarrerie maladive de la conduite, sous prétexte de maladies ou d'hérédité ? Et nous en viendrions à nous demander de quel côté il y a le plus d'invraisemblable. C'est une querelle qui durera longtemps et où nous n'avons pas l'intention d'entrer. Il serait pourtant curieux de savoir si les prétendus observateurs de la réalité ne font pas autant de concessions que les autres romanciers à une certaine convention aussi artificielle, aussi arbitraire, aussi fausse que celle dont ils font un si terrible grief à l'école qu'ils veulent détruire, comme si l'on détruisait des tempéraments et des goûts !
À cette manière de comprendre le roman, correspond le style, qui mériterait une étude à part chez George Sand et dont nous n'indiquerons que quelques traits, bien reconnaissables à travers la variété infinie des sujets qu'elle a traités et dans la longue suite de cette vie remplie pendant quarante-six ans des plus féconds travaux.
Certes on ne peut pas dire qu'elle n'ait pas fait, pendant un aussi long intervalle de temps, son éducation d'écrivain, et qu'elle n'ait pas modifié son instrument d'expression et ses ressources. Cependant, dès le début, sa langue était formée, déjà ample et souple, pleine de mouvement et de feu. Le long travail d'une vie littéraire ne fit que la développer, il ne la créa pas ; elle lui était venue comme d'instinct, aussitôt que, dans sa retraite de Nohant, elle jeta sur quelques feuilles éparses ses tristesses, ses larmes, ses révoltes, toute la matière de son rêve intérieur. Les mots lui obéissaient déjà sans résistance, les images suivaient d'elles-mêmes et s'entrelaçaient sans effort avec une justesse que rencontrent seuls, du premier coup, les écrivains de race. Écrire est, pour certaines personnes, aussi naturel que respirer. George Sand écrivait en prose comme Lamartine en vers ; c'était pour tous les deux une sorte de fonction de la vie ; ils la remplissaient sans l'avoir étudiée ; ni l'un ni l'autre n'aurait pu en rendre compte à eux-mêmes ni aux autres. Ni l'un ni l'autre ne furent des artistes de travail et de volonté ; ils furent des artistes de nature ;
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