George Sand
reflète le paysage environnant, un coin du ciel ménagé au-dessus d'elle et peut-être aussi la nature de la pierre où elle a creusé sa coupe d'azur.
Elle est calme, profonde, attirante comme par un charme magique. On ne peut voir cette source sans s'éprendre d'elle et adorer la Naïade qui la consacre ; on la suit dans sa fuite à travers les prés voisins ; elle s'excite par la pente à laquelle elle obéit ; elle murmure avec fracas en descendant rapidement à travers son lit de cailloux ; elle s'irrite et frémit, au bas du coteau, contre un rocher immobile et brutal qui lui barre le chemin ; elle détourne de cette barrière sa colère et son cours, grondant encore, élargissant à chaque pas son onde grossie des torrents voisins qu'elle reçoit et qu'elle absorbe. Un instant, comme trop pleine des trésors amassés de ces eaux étrangères, elle passe par-dessus ses rives, elle s'épuise par ce débordement, elle va perdre une partie de ses flots inutiles autour d'îlots de sables dénudés ; puis enfin, se recueillant par un dernier effort, elle se ramène en soi, elle s'offre apaisée à la contemplation des hommes, après avoir porté dans son cristal tant de paysages mobiles, tant de scènes variées des villes et des champs. C'est l'image du style de George Sand, toujours fidèle au mouvement intérieur de sa pensée, qu'il représente et dessine dans ses élans, dans ses agitations, comme dans ses soudains apaisements.
On a beau jeu pour nous dire qu'après quarante ou cinquante années, ce style, au moins dans certaines parties, a vieilli comme d'autres parties de l'oeuvre. Il y a, à la vérité, tout un attirail d'idées extérieures, de sentiments factices, de langage, propre à chaque génération et qui nous fait l'effet, quand nous le revoyons au grand jour, d'une toilette défraîchie, d'un habit hors d'usage.
Cette loi de la décadence inévitable, qui ne touche qu'aux dehors du personnage humain, au choix passager qu'il a fait, à sa date, de certaines manières d'être ou de paraître, cette loi n'a pas épargné, chez Mme Sand, toute la partie sentimentale, le romanesque dans l'expression violente des sentiments ou l'invention des situations, l'invraisemblance exagérée des événements, l'emportement des thèses, la déclamation surabondante, l'excès d'un style trop lyrique, dont l'auteur lui-même souriait par moments ; voilà les parties caduques et condamnées qui ont sombré pour toujours et qui, pour tout autre écrivain, auraient entraîné le reste de l'oeuvre dans un pareil et irréparable naufrage.
Mais ici quel désastre c'eût été que la perte de tant d'oeuvres en partie supérieures et de récits que le rayon de l'art a touchés ! Que de choses resteront et renaîtront si un injuste oubli s'est un instant mépris sur elles ! Tout ce qui est grâce aisée, création élégante, rêverie enchantée, sincérité de la passion, fantaisie merveilleuse, charme du style, tout cela ne mérite-t-il pas de vivre ? Le temps fera de plus en plus sûrement son oeuvre, ici comme ailleurs. Et après ce travail d'élimination, qu'il accomplit avec une justesse infaillible sur chaque grande renommée, il proclamera avec un immortel honneur cette puissance d'invention, qui n'exclut pas la faculté d'analyse, mais qui lui crée un cadre merveilleux ; il proclamera que, grâce à cette richesse inépuisable d'imagination et ce don expressif du style, George Sand est restée un poète qui a peu d'égaux, un des plus grands poètes de sa race et de son temps.
Nous sommes maintenant à même, à ce qu'il semble, de répondre à la question que nous posions à la première ligne de cette étude.
Oui, on reviendra à Mme Sand, après quelques années de négligence et quelques éliminations nécessaires dans son oeuvre. Elle attirera de nouveau les générations nouvelles par l'éclat de cette poésie que nous avons essayé de définir. Quand elle ne servirait qu'à nous consoler, par quelques-unes de ses oeuvres, de l'excès et du débordement du naturalisme contemporain, elle aurait eu raison d'écrire, même pour nous, même pour ce qui s'appelle la postérité. Elle aura sa place marquée dans la renaissance infaillible du roman, du théâtre et de la poésie idéalistes qui conserveront longtemps une clientèle considérable dans l'humanité de demain et d'après-demain, quoi qu'on fasse pour comprimer cet élan de l'esprit.
Ce sont des moeurs nouvelles qui ont amené le roman
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