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George Sand

George Sand

Titel: George Sand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elme Caro
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à prendre une si grande place dans la vie moderne. Mais rien ne nous oblige à croire que cette place sera éternellement occupée par le roman naturaliste. Comme nous l'avons déjà dit, il y aura partage entre les deux théories opposées ou peut-être oscillation périodique de l'esprit public entre l'une et l'autre. Ce qui a fait la royauté littéraire du roman, c'est en grande partie l'ennui moderne, cette maladie que les générations des autres siècles, moins excitées et plus croyantes, n'ont pas connue au même degré que nous ; c'est l'ennui, ce vide absolu de l'esprit et du coeur, qui est un trait irrécusable des hommes de notre temps. Autrefois on avait pour se distraire et s'occuper, dans les intervalles du travail quotidien, soit la passion de l'esprit et de la conversation, comme au XVIIIe siècle, soit les passions religieuses, comme au XVIIe siècle, la curiosité violemment excitée par la Réforme et la Renaissance, comme au XVIe. Aujourd'hui, quand la vie, surmenée par le travail des affaires, est contrainte au repos, quelle ressource lui reste dans ce vaste désert des idées qui représente le monde intellectuel ou moral pour la majorité des hommes ?
    C'est le roman qui tient alors la place qu'occupaient autrefois les livres de controverse dans les siècles anciens ou les grandes questions de critique et de rénovation sociale au dernier siècle. Le développement exagéré de la vie positive a créé du même coup l'irrésistible besoin d'y échapper. Rien, non rien, même le désir de faire vite fortune et d'appliquer cette rapide fortune à de rapides plaisirs, ne prescrit contre certaines exigences de l'esprit. On a beau jeter en pâture à l'homme de ce temps les amusements ou les divertissements violents, on parvient bien à le distraire un instant, à le passionner pendant une heure ou deux ; on attire toute son activité au dehors, on l'y excite, on l'y épuise. Et au même instant où on le croit le plus oublieux de son moi intérieur, il échappe à ces prises du dehors ; il fait de soudaines rentrées en lui ; il y revient, tout fatigué du train de vie qu'il menait hier, qu'il mènera demain. Mais aussi, presque aussitôt, déshabitué depuis longtemps de penser, il s'effraye de cette solitude inanimée, de ce silence qu'il trouve en lui ; il a oublié de remplir et d'orner de pensées solides ce fond intérieur de l'âme qu'il n'habite qu'à de rares intervalles. L'idéal philosophique ou religieux ne visite plus guère cette âme vouée aux divinités vulgaires et faciles. Les lettres sévères rebutent depuis longtemps ces esprits restés arides sous une couche de banale culture. Quelle ressource lui restera pour remplir un instant ce grand vide qui s'ouvre devant lui ? Le théâtre et le roman, qui ne diffère du théâtre que par le développement de l'action concentrée sur la scène intérieure. D'ailleurs, le roman est toujours là, toujours à sa portée et sous sa main ; il se prête à remplir certaines heures où l'homme, en tête-à-tête avec lui-même, ne sait que penser.
    Il prend telle oeuvre qui mène grand bruit, il la laisse, il la reprend à sa fantaisie. Le roman semble s'adapter de lui-même à ces intervalles inoccupés de la vie moderne ; il remplit les repos de l'action ou des affaires, où l'homme, même le plus ordinaire, sent en lui je ne sais quelle vague lassitude ou quelle morne inquiétude qui ressemble à un besoin de penser.
Mais l'influence du roman ne s'arrête pas là ; il n'est pas uniquement l'entretien et la distraction intellectuelle d'un grand nombre d'esprits vides ou médiocrement cultivés. Les intelligences les plus hautes elles-mêmes n'y échappent pas ; c'est une sorte d'habitude qui s'est créée pour l'esprit. Je demandais à un philosophe distingué de ce temps quel était, d'ordinaire, le premier article qu'il lisait dans la Revue des Deux Mondes. Il me répondit avec ingénuité que c'était toujours par le roman qu'il commençait sa lecture. Le plus grave esprit de notre âge, celui qu'on se figurait, surtout dans les dernières années de sa vie, comme naturellement absorbé dans les plus hautes méditations philosophiques ou religieuses, M. Guizot, me disait qu'il travaillait dans la première partie de la journée, qu'il faisait une promenade selon le temps, et que, tous les jours de sa vie, il rentrait à quatre heures pour se faire lire un roman anglais. Mais c'est surtout dans la vie des jeunes gens et des

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