George Sand
finit, mais c'est une fin de raison, non d'inspiration. La composition languit, tout simplement parce qu'il n'y a pas eu de plan préparé, et que la composition n'est pas portée jusqu'au bout par l'ardeur de la pensée ou de la passion. Les dénouements n'égalent jamais les préludes de l'oeuvre. On la voyait vivement préoccupée d'une idée de roman, possédée par son sujet, à tel point que tous ceux qu'elle avait traités auparavant semblaient ne plus exister pour elle, et, quelque temps après, elle avait hâte de dire adieu à ses personnages les plus chers d'un jour.
Elle avait usé et comme consumé par le feu de son imagination les plus beaux enfants de son rêve ; elle les replongeait dans le passé, en un tour de main, je pourrais dire dans le néant. N'était-ce pas un néant relatif que cet oubli qui succédait si vite en elle à la présence réelle de tous ces personnages, dont le nom même sortait parfois de sa mémoire ? La fournaise ardente s'était refroidie ; pour se rallumer, elle attendait d'autres types, d'autres moules d'où allait sortir un monde nouveau.
Quand le chimérique s'introduit ainsi dans ses oeuvres, forçant les événements et les caractères, c'est une preuve que chez elle l'inspiration s'épuise, que la fatigue se trahit et que l'auteur ressent une certaine hâte d'en finir avec le sujet dont elle a déjà exprimé la substance et la fleur. Mais il faut bien se garder de confondre ce romanesque médiocre, qui exprime une lassitude dans son talent, avec un autre genre de romanesque, qui produit chez elle des oeuvres exquises et qui est un jeu enchanté de son imagination. Pour bien marquer cette nuance, deux noms suffisent ; nous pourrions en citer dix : Teverino et le Secrétaire intime. Ce sont là des récits conçus dans une heure de fécondité heureuse et qui semblent avoir été achevés sous la même inspiration fraîche et sans défaillance, de la première à la dernière page, sans un intervalle de repos ni de fatigue. Songes d'une nuit d'été, rêveries d'une journée de printemps, on ne sait de quel nom désigner ces fictions magiques, qui vous tiennent comme suspendus dans un monde légèrement idéal, où tout succède au voeu de l'auteur avec une complaisance des événements et une docilité des personnages qu'on ne trouve pas toujours en ce monde.
Le Secrétaire intime est une fantaisie «qui lui est venue après avoir relu les Contes fantastiques d'Hoffmann» ; il a gardé quelque chose de son origine. Tout est invraisemblable dans cette principauté bâtie entre ciel et terre, aux ordres de cette souveraine énigmatique et ravissante, Quintilia Cavalcanti, tour à tour folle du luxe et du plaisir, et adonnée au plus sérieux labeur de la pensée, soupçonnée des plus noirs crimes d'amour, une Marguerite de Bourgogne qui se montre dans un cadre enchanté, puis tout à coup révélée à travers les aventures les plus contraires comme une épouse admirable, vertueuse et fidèle à un époux qu'elle adore dans l'incognito de son exil errant. L'amour légitime avec des airs d'aventurier ! Quel rêve enfin réalisé par Mme Sand ! C'est la seule manière, à ce qu'il paraît, de faire supporter le mariage. Et que d'épreuves pour le jeune comte de Saint-Julien, jeté en plein mystère par un hasard de voyage, admis sur le grand chemin dans le carrosse de la princesse, au grand déplaisir de la lectrice et de l'abbé, à la stupéfaction de la petite cour fabuleuse et agitée où il débarque comme un événement, puis montant en grade et en faveur avec une rapidité qui lui donne le vertige, et dans ce vertige fatal concevant un impossible amour qui le mène au bord des plus grands périls. Le dénouement arrive. L'heureux époux, le mystérieux Marx, sauve Julien de ses imprudences. Notre héros sort de cette féerie, tour à tour ravi, épouvanté, humilié, meurtri. La guérison ne viendra que plus tard, après la maladie de rigueur, qui suit les grandes défaillances, et le retour dans sa famille, où il rapportera une imagination plus calme, une âme plus indulgente et le souvenir, le rêve plutôt des aventures dont il a eu pendant une année le spectacle éblouissant et tragique devant les yeux.
Il n'y a pas de bon sens dans cette fable. Mais quelle jolie suite aux Contes d'Hoffmann ! C'est ainsi qu'un grand artiste imite et s'inspire.
C'est de la même source de romanesque heureux qu'est sorti Teverino. Il arrive ainsi bien souvent à
Weitere Kostenlose Bücher