George Sand
l'auteur avec nos souvenirs, ceux que nous avons emportés d'une visite que nous fîmes à Nohant, au mois de juin 1861.
Vers cette époque déjà lointaine, George Sand écrivait à l'un de ses amis, en l'engageant à venir la voir : «Nous avons encore de belles journées ici.
Notre climat est plus clair et plus chaud que celui des environs de Paris ; Le pays n'est pas beau généralement chez nous : terrain calcaire, très frumental, mais peu propre au développement des grands arbres ; des lignes douces et harmonieuses ; beaucoup d'arbres, mais petits ; un grand air de solitude, voilà tout son mérite. Il faudra vous attendre à ceci, que mon pays est, comme moi, insignifiant d'aspect. Il a du bon quand on le connaît ; mais il n'est guère plus opulent et plus démonstratif que ses habitants.»
Peu démonstrative, c'était vrai, comme l'avait indiqué autrefois Henri Heine, et même insignifiante d'aspect, pourquoi ne pas le dire ? c'était vrai aussi, pendant les premiers instants. Quand je la vis, ses cinquante-sept ans avaient marqué leur empreinte sur toute sa personne et en avaient amorti l'effet, éteignant cette grâce jeune et passionnée d'autrefois, cet éclat de physionomie qui, à travers la lourdeur de certains traits, avait été sa principale beauté. La taille s'était épaissie ; les yeux restaient beaux, mais comme noyés dans un certain vague ou une certaine indolence, qui s'étaient augmentés avec l'âge ; il y avait en tout cela un peu d'inertie et comme une sorte de fatigue intellectuelle ; elle semblait se refuser d'abord à de nouvelles connaissances ou au commerce de nouvelles idées qui n'entraient pas d'emblée dans les siennes, ou du moins ne s'y prêter qu'avec peine.
Hospitalière, mais gravement et silencieusement, si l'on s'en était tenu à cette première impression, on aurait pu la juger assez sévèrement ; il ne fallait pas s'y tenir, et, selon son expression, elle et son pays avaient du bon quand on les connaissait. On croira peut-être que cette froideur de premier aspect était un fait accidentel, personnel au visiteur inattendu de 1861.
Il serait naturel de le croire ; ce ne serait pourtant pas exact. On nous a raconté une bien jolie histoire sur l'impression que ressentit, à son arrivée, l'un de ses visiteurs les plus attendus, les plus souhaités, Théophile Gautier ; il avait fait pour elle le grand sacrifice de quitter son boulevard, et il arrivait avec la conviction des Parisiens qui s'imaginent être des héros pour aller voir un ami dans sa province ; il débarquait à Nohant avec l'idée de son héroïsme et dans l'attente de le voir récompensé par la joie de George Sand, mesurant d'avance l'effusion de l'accueil à la vivacité, presque à la violence de l'invitation. Cependant George Sand restait calme, plus que calme, silencieuse, avec cet air indolent et lassé qui m'avait frappé en elle. Elle le quitte un instant pour donner des ordres. Lui, étonné, de plus en plus mécontent, se plaint à son compagnon de voyage, un habitué de la maison, d'un pareil accueil ; son mécontentement, comme il arrive, s'exalte en s'exprimant ; il veut partir, il rassemble sa canne, son chapeau, sa valise. Le témoin de cette grande colère va en toute hâte prévenir George Sand pour qu'elle en conjure l'effet. Elle ne comprend rien d'abord à ce qu'on lui raconte. Quand elle a compris, elle frémit d'un pareil accident ; une telle déception la bouleverse, elle se désespère. «Vous ne lui aviez donc pas dit, s'écrie-t-elle ingénument, que j'étais une bête ?» On l'entraîne vers Théophile Gautier ; les explications commencent ; elles ne furent pas longues ; il comprit bientôt, à l'accent de la désolation, combien il se trompait, et sa rentrée fut triomphale.
La conversation de George Sand était à l'avenant. Elle n'avait jamais été bavarde, elle l'était moins encore en vieillissant, hormis les jeux de famille et les contes aux enfants.
De l'esprit, elle n'en avait pas, ni au sens parisien du mot, ni au sens gaulois. Elle l'admirait plus que de raison chez les autres, tout en le comprenant avec une certaine peine ; il lui fallait un effort d'attention pour en saisir le jeu et s'habituer à ces surprises qu'il lui causait toujours. D'elle-même, elle serait restée volontiers en dehors de ces fantaisies étourdissantes, de ces vives saillies, de cette gymnastique alerte de l'idée, de ces attaques et de ces ripostes où
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