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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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tout à l’heure ? Peut-être sa nouvelle robe d’intérieur en soie sauvage de couleur noire qu’il avait fait fabriquer (aux frais de la princesse) d’après un modèle de la Revue de la Mode . Il rêva d’une robe discrètement osée et soupira. Dans deux heures au plus tard, il saurait – voire avant, si Constancia Potocki le mettait à la porte après avoir appris la vérité.
    Ce n’était pas une mauvaise idée, songea-t-il. Aller droit au but. Abréger les douleurs. Il prit une profonde inspiration et retint son souffle pour rassembler son courage. Puis il fit un pas résolu, frappa et baissa la poignée sans attendre la réponse.
    Il perçut aussitôt l’odeur de sel et de varech qui s’infiltrait par la fenêtre ouverte et se mêlait au parfum de roses d’un énorme bouquet de Mme Hardy, posé sur un guéridon devant les hautes voûtes en tiercefeuille. De l’autre côté du Grand Canal, il entrevit le palais Balbi et les petites maisons à l’embouchure du rio della Frescada derrière lesquelles on devinait la cité. La vue splendide retint à tel point son attention qu’il ne prit pas tout de suite conscience de la femme allongée devant le piano Érard dans une position des plus étonnantes.
    Tron s’avança, mais avant même d’atteindre le corps recroquevillé, il sut que Constancia Potocki était morte et qu’elle n’était pas morte de façon naturelle. Sa main droite, dont les doigts n’effleureraient plus aucune touche en ce monde, enserrait un volume de sonates de Mozart. Peut-être s’était-elle efforcée, dans un geste désespéré, de s’en servir comme d’un bouclier. Quelques partitions tombées du pupitre recouvraient son corps comme d’immenses feuilles d’arbre. Ses cheveux roux, qu’elle portait toujours en chignon, étaient défaits et descendaient en cascade dans son dos.
    Le commissaire lui trouvait un air extrêmement jeune, comme si l’agonie avait remonté l’horloge de sa vie à une vitesse folle. Ses yeux étaient grands ouverts. Et sa bouche béante – une bouche de petite fille – donnait l’impression qu’elle essayait de pousser des cris beaucoup trop grands pour ses cordes vocales.
    Il s’agenouilla, et en se penchant au-dessus d’elle – prenant garde de ne rien toucher avant que Bossi ait terminé ses photographies du crime –, il comprit comment elle était morte. Un anneau violacé et profond entourait son cou tel un collier obscène.
    Il releva la tête et réfléchit. Combien de temps s’était-il écoulé entre la fin de la mazurka et son arrivée dans la salle ? Deux, tout au plus trois minutes, estima-t-il. L’assassin ne pouvait s’être enfui que par l’escalier de service.
    Ou bien se pouvait-il qu’il se trouve encore dans la pièce ? Tron jeta un regard apeuré par-dessus son épaule, mais n’aperçut que le piano d’exercice de Constancia Potocki, un divan bon marché dans le genre XVIII e siècle, une demi-douzaine de fauteuils et une desserte où s’empilaient des partitions.
    Il se remit debout, traversa la salle d’un pas rapide et revint dans le vestibule. Là, il tira sur le cordon de la sonnette des domestiques qui pendait près de la porte – de manière si violente qu’il l’arracha et que la poignée en porcelaine vint se briser en mille morceaux sur le sol en terrazzo . Comme s’il y avait urgence !

24
    Ils avaient eu beau passer au peigne fin le grenier du palais Mocenigo – une immense soupente divisée en chambres par des cloisons de bois –, ils n’avaient pas découvert l’assassin. Comme Tron n’avait pas d’arme sur lui, ce n’était pas pour lui déplaire, même s’il avait prétendu l’inverse à Mlle Kinsky, la jeune intendante des Potocki. Il avait envoyé l’une des deux bonnes prévenir Bossi au commissariat et l’autre chez le docteur Lionardo. Il supposait qu’il leur faudrait une petite heure pour arriver sur le lieu du crime.
    À présent, ils se tenaient dans le petit couloir du grenier, juste devant la chambre de l’intendante. Par la porte ouverte, Tron pouvait voir le crucifix au-dessus de son lit et la bible sur sa table de chevet. La jeune femme avait fait preuve d’un étonnant sang-froid à la nouvelle du meurtre. Il se demandait si une telle maîtrise venait de sa foi.
    — Ce sont mes pas que vous avez entendus dans l’escalier, commissaire, dit-elle à voix basse.
    Elle parlait italien avec le fort accent des gens qui pensent, qui comptent et qui rêvent

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