Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
Vom Netzwerk:
dire que…
    Troubetzkoï hocha la tête.
    — Je vais vous raconter une anecdote dont vous n’êtes manifestement pas au courant.
    — Je vous écoute.
    — Je suppose que vous savez pourquoi Mme Kinsky vit au palais Mocenigo ?
    — Le décès de son époux l’a laissée sans ressources.
    — C’est exact. En revanche, on ne vous a sans doute pas raconté dans quelles circonstances il était mort.
    Tron fronça les sourcils.
    — Non.
    — Le bruit a couru, expliqua le consul, qu’elle l’avait empoisonné. On lui a même intenté un procès qui s’est conclu par un non-lieu. L’accusation n’a rien pu démontrer. Néanmoins, le doute continue de planer. Depuis que Constancia l’avait appris, elle avait peur.
    — Peur de quoi ?
    — Peur de ce qui est arrivé hier soir.
    — Vous lancez ici une grave accusation, Excellence.
    Le consul prit une nouvelle cigarette dans son étui en argent.
    — Je ne vous force pas à me croire. Je vous conseille toutefois vivement de réclamer à Trieste les dossiers relatifs à cette affaire.

28
    Mme Leinsdorf, Frau Generaldirektor Leinsdorf, s’était arrêtée devant la vitrine de l’élégante boutique de Sivry et contemplait une dernière fois le Canaletto qu’elle venait d’acheter. Le palais ducal se révélait d’un rose on ne peut plus suspect, les nuages ressemblaient à des meringues et le ciel au-dessus de la ville brillait d’un bleu très clair. De toute évidence, ce petit Français rondouillard partageait l’opinion des Vénitiens de souche : les riches étrangers achetaient vraiment n’importe quoi et adoraient la couleur. Il était probable, songea-t-elle, qu’ils ne flairaient même pas l’artifice quand une odeur de peinture fraîche les accueillait au moment où ils ouvraient la porte.
    Dès le premier jour, Mme Leinsdorf avait constaté qu’elle se plaisait à Venise. Elle aimait la franchise nonchalante avec laquelle on y pratiquait l’escroquerie : le coût exorbitant des chambres, le prix éhonté des menus et les tarifs scandaleux des gondoliers. Bien entendu, dans les cafés aussi, on se moquait du monde.
    Voilà précisément ce qui lui avait tant plu dans ce Canaletto. La disproportion flagrante entre la contrefaçon et le prix exigé avait quelque chose d’authentique ; elle émanait du genius loci . D’une certaine façon, se dit Mme Leinsdorf (qui manifestait une tendance aux raisonnements compliqués), elle pouvait à bon droit considérer ce tableau comme un original.
    De ce fait, la négociation du prix s’était déroulée de manière très harmonieuse. Une fois qu’elle eut souligné quelques défauts majeurs de l’œuvre, le marchand, un certain M. de Sivry, s’était à peu près aligné sur son prix. Elle lui aurait volontiers révélé pour quelle raison elle achetait une contrefaçon aussi manifeste, mais elle avait douté qu’il la comprît. Comprenait-elle elle-même la singulière consolation qu’une femme bafouée éprouvait ici, à Venise, dans ce piège auquel les étrangers se laissaient prendre ? Elle avait besoin de cette consolation même si, dut-elle reconnaître en ouvrant son ombrelle d’un geste énergique, elle n’assistait pas de manière passive aux escapades du directeur général Leinsdorf.
    Au moment où elle se retourna, son visage se refléta dans la vitrine – un tableau qui lui rappela que le directeur général Leinsdorf ne l’avait épousée que pour son argent. Elle n’était pas repoussante – du moins aux yeux d’un passionné de chevaux. Elle avait de grandes incisives très saines, une bouche lippue et sensuelle ainsi qu’un nez bien formé, évoquant tout juste des naseaux. Aucune de ces caractéristiques – pas même son étonnante chevelure rousse – n’était laide en soi. Mais l’ensemble rappelait immanquablement un cheval. Quand elle s’apercevait dans un miroir, elle avait parfois l’impression qu’elle allait se mettre à hennir. Et le pire, c’est qu’elle éprouvait de temps à autre le besoin de hennir.
    Mme Leinsdorf quitta son reflet dans la vitre et sortit de l’ombre des arcades pour s’avancer sur la place. Une queue s’était formée devant l’entrée du Campanile. Elle joua un instant avec l’idée de monter elle aussi en haut de la tour (l’entrée devait coûter une fortune), mais décida en fin de compte de rentrer à l’hôtel. Elle passa devant des cafés où l’on ne servait bien entendu que des Kännchen , des petites cafetières

Weitere Kostenlose Bücher