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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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L’embarcation sur la table de la salle aux tapisseries rappelait à Tron les souvenirs * bon marché (comme aurait dit Bossi) qu’on trouvait dans les gares et dans les halls d’hôtel : des éventails en papier ornés de motifs vénitiens, des coupe-papiers en bois avec l’inscription Arrivederci Venezia ou de petits dépliants en accordéon avec des vues de la lagune.
    — La bougie vient du marché aux puces, expliqua sa mère avec fierté.
    Elle s’appuya contre son dossier, prit sa serviette de table et regarda son fils d’un air triomphant.
    — Du marché aux puces ?
    Tron releva les yeux de son brodo di pesce . Une deuxième gondole, posée près de son assiette, était destinée à recevoir les parties non comestibles de la soupe de poisson : une arête, un bout de nageoire, une branchie, un œil. Une troisième contenait des fraises tièdes, une quatrième de la crème Chantilly liquide au-dessus de laquelle des mouches tournoyaient avec entrain. Un dîner chez les Tron.
    — Alessandro raconte que les gondoles bougeoirs ont fait leur apparition sur le marché aux puces dès le lendemain, précisa sa mère avec un sourire. Il en a acheté une cet après-midi pour nous la montrer.
    Elle se tourna vers le maître d’hôtel occupé à frotter des verres devant le buffet.
    — Combien as-tu payé la gondole, Alessandro ?
    Le vieil homme inclina sa tête argentée.
    — Deux lires, comtesse.
    — Ce n’est pas donné, lâcha le commissaire.
    — Le brocanteur m’a dit qu’elles partent comme des petits pains, précisa Alessandro. Il paraît qu’à la gare il y a un stand où l’on ne vend plus que nos gondoles. Avec ou sans bougie.
    — Et les cafés n’ont jamais vu cela ! ajouta la comtesse.
    — De quoi parles-tu ?
    — Du nombre de vols ! Les clients adorent nos gondoles.
    — On a toujours volé des cendriers.
    — Oui, mais pas à ce point ! Nous recevons une douzaine de lettres par jour pour savoir quand les prochaines arrivent.
    — Vous allez en recommander ?
    — C’est déjà fait. Sauf que, cette fois, nous n’allons pas les distribuer gratis.
    Elle s’arrêta un instant pour ménager son effet.
    — De plus, je me demande s’il faut continuer de laisser la production à ces Français.
    — Tu veux dire que nous devrions fabriquer les gondoles en verre pressé nous-mêmes ? s’inquiéta le commissaire.
    — Pas uniquement les gondoles, répondit-elle. Mais aussi diverses babioles en verre.
    — Qu’en pense la princesse ? voulut savoir Tron.
    — Elle trouve que cette idée mérite réflexion.
    La comtesse retira un bout d’arête (ou de nageoire) de sa bouche et le déposa dans la gondole prévue à cet effet.
    — À ce propos, Leinsdorf s’est montré enchanté par nos gondoles ! Son épouse en a déjà acheté plusieurs exemplaires au marché aux puces.
    — Tu as parlé à Leinsdorf ? Quand cela ?
    — Aujourd’hui, au Danieli , répondit-elle. J’ai accompagné la princesse. Les contrats n’ont plus qu’à être signés. Mais Leinsdorf préfère attendre lundi, une fois que le bal sera passé.
    — À cause de la reine ?
    Sa mère hocha la tête.
    — Oui, il a exprimé le désir ardent de la rencontrer à notre bal.
    — Ce qui veut dire ?
    — Que nous avons intérêt à ce qu’elle vienne.
    La comtesse plissa les yeux.
    — Tu as retrouvé le Titien ?
    Il soupira.
    — Nous y travaillons. Pour le moment, tout porte à croire que le colonel Orlov se cache derrière le crime. Il est venu à Venise en avril ; je l’ai rencontré cet après-midi à la terrasse du Quadri et un garçon de café l’a reconnu. Si nous parvenons à prouver qu’il était ici il y a deux mois, il sera obligé de nous fournir des explications car il a prétendu n’avoir jamais vu ce serveur.
    — Comment comptez-vous vous y prendre ?
    — Avec un peu de chance, nous trouverons l’hôtel où il est descendu, dit Tron. À ce moment-là, il ne pourra plus nier et nous aurons le moyen d’exercer une pression.
    — Il ne te reste plus que demain, remarqua sa mère.
    — Je sais.
    Il plongea sa cuillère dans la soupe, fit le tri et déposa un morceau de queue (ou de branchie) dans la gondole à déchets. Un instant plus tard, il s’étonna de ne pas y avoir pensé plus tôt. La solution allait de soi. La seule question était de savoir si sa mère accepterait.
    — Qu’est-ce que Leinsdorf attend de nous au juste ? s’enquit-il. Il veut parler à la reine ou juste la voir ? Est-il au

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