Gondoles de verre
ses… euh…
— … photographies du lieu du crime .
— C’est cela.
La tête de Spaur se balançait d’avant en arrière tandis qu’il roulait des yeux.
— Je me demande quand il va se mettre à lire dans le marc de café ! Qu’avez-vous l’intention de faire maintenant ?
— Essayer de prouver qu’Orlov est venu à Venise il y a deux mois. Si jamais nous trouvons un indice…
— Vous commencez par me prévenir, l’interrompit le commandant. Cette affaire réclame du doigté et un grand sens politique. En plus de cela, je suis convaincu qu’Orlov est innocent. Une question d’intuition.
Spaur rejeta la tête en arrière et ferma les paupières d’un air absent : sa mine d’artiste.
— L’alibi d’Orlov est fragile pour l’heure du crime, insista Tron.
Son supérieur ne voulut rien savoir :
— Toggenburg m’a assuré que le colonel Orlov est un homme de parole.
— Et s’il est bel et bien venu ici en avril ?
— Il avait sans doute de bonnes raisons, répliqua Spaur. Peut-être s’agissait-il déjà de livraisons d’armes.
— En tout cas, il n’en a pas parlé à la reine.
— Peu importe qu’il soit venu à Venise ou pas, déclara le commandant de police sur un ton bourru. J’ai promis à Toggenburg que ce dossier était clos.
Pour donner plus de poids à ses propos, il referma le dossier étalé devant lui de manière démonstrative.
— Comment dois-je comprendre cela ?
— Très simple, commissaire.
À présent, la voix du commandant traduisait l’impatience et l’énervement.
— Votre rapport va en arriver à la conclusion que le père Terenzio a assassiné Kostolany.
Il posa le dossier qu’il venait de refermer sur le tas à sa droite.
— De toute façon, vous devez vous occuper de l’autre affaire.
Sur ce point, il avait raison. Tron poussa un soupir.
— Je sais. L’affaire Potocki.
Spaur roula des yeux, ce qui devait signifier à peu près : ne recommencez pas avec ces histoires sans importance. Puis il dit : — Mais non, commissaire, l’affaire Violetta !
Il lui adressa un sourire glacial. Mon Dieu, c’est vrai ! L’affaire Violetta. Tron inspira profondément.
— Peut-être pourrez-vous m’apprendre l’origine de cet énorme bouquet déposé au Malibran, continua le commandant d’un air sévère.
Pour gagner du temps, Tron demanda :
— Mlle Violetta s’est-elle exprimée à ce sujet ?
Spaur haussa les épaules.
— Elle a juste dit que les fleurs provenaient de son soupirant.
— L’ homme établi ?
Le commandant hocha la tête.
— Oui. Il n’y avait pas de carte de visite sur le bouquet. On l’a confié à la dame du vestiaire.
— Mlle Violetta ne vous a toujours pas dit comment il s’appelle ?
Spaur secoua la tête.
— Non.
Sans réfléchir, le commissaire se mit à improviser : — Nous avons déjà entrepris des recherches pour identifier l’expéditeur du bouquet.
En voyant la mine de son supérieur, il regretta aussitôt cette phrase.
— Vous étiez au courant du bouquet ?
À présent, il était trop tard pour faire machine arrière.
— Nous avions posté un homme à l’entrée des artistes, s’enferra-t-il d’une voix lente. Le bouquet avec lequel Mlle Violetta est repartie ne pouvait donc pas nous échapper.
— Votre homme est-il fiable ?
— Sans aucun doute ! assura Tron avec un hochement de tête. Bien entendu, il ignore le fond de l’affaire. Nous l’avons simplement chargé d’établir un profil des mouvements .
Une belle expression qu’il devait à Bossi et qui produisit son effet. Spaur prit un air perplexe.
— Un profil des mouvements ?
Le commissaire en profita pour emprunter un autre terme au répertoire de son sergent.
— Oui, on enregistre les mouvements de la personne cible pour déterminer des schémas récurrents. Où se rend-elle ? À quel moment ? Et le cas échéant, avec qui entre-t-elle en contact ?
Au mot de contact , Spaur s’inclina vers l’avant dans un mouvement nerveux.
— Violetta est-elle rentrée seule ?
C’était une question tout à fait justifiée. Était-elle rentrée seule ou non ? Peut-être l’ homme établi l’avait-il raccompagnée ? Là, pensa Tron, il ne fallait pas commettre d’impair. Il fallait du doigté et de l’ intuition , pour reprendre les termes du commandant. Or son intuition lui disait que – il faillit éclater de rire – l’ homme établi n’existait pas. La demande en mariage – à nouveau, il dut étouffer un rire
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