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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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l’obligation de fermer ses portes. Nous sommes désespérés. Qu’allons-nous
devenir ?
    Notre mère réagit aussitôt. Malgré les démêlés qu’elle a eus
avec lui, elle écrit à grand-père, lui explique qu’elle a fait l’effort de nous
placer dans cet établissement. Elle a besoin de son aide. Coûte que coûte, il
doit contribuer à notre éducation. Elle se démène, envoie une autre lettre à M e Antébi, l’avoué de grand-père, fait intervenir le directeur du cours
Chateaubriand qui, de son côté, fait un courrier à Picasso. Il nous a réservé
une place dans son institution. Il attend une réponse.
    Elle arrive enfin :
    « Voyez avec mon avoué. »
     
    « Deux gommes… deux règles… deux compas… deux livres… deux
cahiers… »
    Dans la petite librairie qui a pris des accords avec notre
grand-père par l’intermédiaire de M e Antébi, Pablito et moi
choisissons nos fournitures scolaires. Deux gommes, deux règles, deux compas, deux
livres, deux cahiers. Nous n’avons pas le droit de prendre autre chose que ce
qui est inscrit sur la liste que l’on nous a communiquée. Tout est chiffré, millimétré.
Si nous avons besoin d’un livre supplémentaire, nous devons consulter ce sacré
avoué. Il gère la fortune de grand-père. Son devoir est d’être vigilant.
    Le cours Chateaubriand est un établissement sélect qui
compte parmi ses étudiants des enfants de familles aisées que leurs parents ont
placés là pour conduire librement leurs affaires d’argent, de divorce, d’adultère,
de cotation en Bourse. Des enfants condamnés à perpétuer une réputation, un nom,
une fortune. Des fils à papa délaissés qui, en attendant de reprendre le
sceptre, passent leurs week-ends et souvent leurs vacances entre les quatre
murs du cours Chateaubriand.
    Tout comme nous, ils sont devenus maîtres dans l’art de
masquer leur filiation. Tout comme nous, ils ont honte d’être des orphelins
portant des noms célèbres. Seuls les professeurs nous ramènent à la réalité. La
notoriété que nous sommes censés représenter les honore. Plus tard, ils
clameront :
    « J’ai enseigné l’histoire, les maths ou le français
aux petits Picasso. »
    Une distinction comparable sans doute aux palmes académiques.
     
    Toujours est-il que cette semaine, les petits Picasso n’ont
pas pu se payer la tenue de sport que leur moniteur leur a demandé de se
procurer. Pour la leur acheter, le directeur doit attendre l’accord de M e Antébi qui examinera la question avec leur grand-père.
    La réponse viendra deux mois plus tard.
    Cette semaine, les petits Picasso sont convoqués dans le
bureau du directeur. Il les informe que, malgré plusieurs lettres de rappel, leur
grand-père n’a toujours pas réglé les deux derniers trimestres. La mort dans l’âme,
les petits Picasso devront en parler à leur mère.
    « Cette affaire ne me concerne pas, écrira-t-elle au
directeur. Voyez ça avec Picasso et son secrétariat. »
    Deux mois plus tard, la pension est payée pour l’année tout
entière.
    La pension… mais toujours pas les livres qu’entre-temps il a
fallu acheter.
    Tout est à recommencer. Les petits Picasso en ont assez de
jouer les boucs émissaires.
     
    Fini le thermos et la blanquette de veau, les repas de midi
pris comme des indigents dans la salle de classe. Le cours Chateaubriand
possède non pas une cantine, mais un vrai restaurant avec des nappes blanches
et un festin de bonnes choses.
    Toute cette abondance nous coupe l’appétit.
    J’ai seize ans, Pablito, dix-sept ans et demi. Au printemps,
après le déjeuner, les élèves vont prendre un café à la terrasse d’une
brasserie à deux pas du cours Chateaubriand. Nous ne pouvons pas les suivre. Ils
sont riches et nous, nous sommes pauvres. Comme nous n’avons pas cours cet
après-midi, ils iront sans doute au cinéma ou alors sur une plage de Cannes. Matelas,
parasols, pédalos, menthes à l’eau… Ils peuvent tout se payer avec leur argent
de poche.
    Argent de poche  : un mot que nous ne connaissons
pas.
    Quelquefois, ils nous invitent chez eux pour une
surprise-partie ou alors sur le bateau de leur père.
    Nous devons louvoyer, monter un scénario pour échapper à ces
invitations que nous ne pouvons pas rendre.
    — Nous ne sortons pas comme ça. Nous sommes très
protégés.
    Comment leur expliquer que notre mère a du mal à joindre les
deux bouts, que mon père a omis d’envoyer la fameuse pension, que nous

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