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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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adopter mais je n’ai pas voulu.
    Somme toute, un grand-père magnifique.
     
    Depuis que nous vivons villa Habana , elle a choisi un
nouveau compagnon. Celui-ci s’appelle Jean. Il fait de la poterie et des bijoux
en plastique. Un artiste.
    Ma mère l’assiste dans ses recherches. Ensemble, ils
travaillent le polyester, le meulent, le dégrossissent, enchâssent à l’intérieur
des hippocampes séchés qu’ils se sont procurés chez un détaillant. Ils créent
des pendentifs, des porte-bonheur, de grands panneaux représentant des fonds
marins. L’affaire marche bien et ma mère est heureuse de gagner suffisamment d’argent
pour ne pas avoir à relancer mon père qui, bien entendu, oublie toujours d’envoyer
la pension par la poste. Aux vacances d’été, je leur donne un coup de main et
récolte quelques sous en façonnant des colliers composés de calices d’eucalyptus :
mon écot aux frais de la maison, mais surtout un moyen de nourrir les deux
chats efflanqués que j’ai pris sous mon aile.
    Pablito ne veut pas que je leur donne un nom. Il a
simplement dit :
    — Laisse-leur une chance.

9
     
     
    Mon père nous a donné rendez-vous à La Frégate , un
bar de Golfe-Juan. Il vient d’épouser Christine Pauplin que nous connaissons
bien pour avoir partagé nos vacances avec elle et mon père au château de
Boisgeloup, dans l’Eure, près de Gisors.
    J’ai gardé de Christine un souvenir très flou. Je me
souviens seulement qu’elle avait le souci de ne pas s’interposer entre notre
père et nous. Elle était détendue, sans doute indifférente, mais elle nous
laissait libres de jouer avec les enfants des fermes avoisinantes : des
traîne-champs qui nous apprenaient à débusquer les oiseaux des taillis et
jouaient à cache-cache avec mon frère et moi dans les granges et les ruines de
la petite chapelle recouverte de lierre nichée dans cette propriété que Picasso
avait achetée à l’époque où il aimait Olga, ma grand-mère. Nous allions
récolter les œufs dans le poulailler, allions traire les vaches, buvions leur
lait mousseux. J’aimais la bonne odeur de l’étable, celle du foin nouvellement
coupé. Je pouvais mettre mes mains partout : dans la boue, dans la paille,
caresser la croupe des génisses et des veaux. J’avais l’impression que rien ne
pouvait me salir. La vie était sereine, mon père était joyeux. Il riait, s’amusait
de nous voir autonomes et de l’être lui-même. Grand-père n’était pas là pour le
prendre à ses pièges.
    Christine n’a jamais cherché à idéaliser mon père. Elle l’acceptait
tel qu’il était avec ses bons et ses mauvais côtés. Elle n’a jamais essayé de
séduire Picasso. Que mon père soit sous son joug la désolait sans doute, mais
elle savait qu’elle ne pouvait rien y changer. Elle appartenait à cette
catégorie de femmes qui, lorsqu’elles aiment un homme, admettent tout de lui.
     
    La Frégate . Mon père est déjà là. Il fume une
cigarette. Devant lui, le cendrier est plein de mégots de Gitanes. D’un
claquement de doigts, il appelle le garçon et lui lance :
    — Un chocolat et un Coca-cola !
    Le chocolat pour moi, le Coca pour Pablito.
    — Ça marche bien à l’école ? Vous avez l’air en
forme…
    Les mots conventionnels : l’école, notre santé, nos
projets pour la semaine.
    Nous n’avons pas de projets.
    Un silence et ces mots :
    — Je n’ai pas eu le temps de vous voir. Je reviens de
Paris. Votre grand-père avait besoin de brosses et autres fournitures. Je ne
pouvais pas le laisser tomber…
    Nous aimerions lui parler de Bernard, le bébé qu’il a eu
avec sa nouvelle femme. Un enfant légitime, un Picasso de souche comme Pablito
et moi.
    Ni lui ni nous n’osons aborder le sujet.
    Déjà, il s’est levé pour régler le garçon. Un billet de cent
francs extrait d’une liasse qu’il a tirée de sa poche. Il s’étonne. Pablito n’a
pas touché à son Coca-cola.
    — Tu ne vas pas le laisser, lui lance-t-il sur un ton
de reproche.
    Pablito lève son verre, boit d’un trait… et se rue vers la
porte des toilettes. Quand il revient, ses yeux sont rougis de larmes. Ce n’est
pas son Coca qu’il est allé vomir mais un père qui ne sait pas aimer.
     
    La préoccupation première de l’école protestante n’est pas
de faire payer les élèves, mais de leur donner une bonne instruction. Le
pasteur Monod a prévenu notre mère : faute de subsides, l’établissement se
voit dans

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