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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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Celui que
l’on ne doit pas attendre mais que l’on doit donner. Leçon de choses à laquelle
nos parents ne nous ont pas familiarisés.
    Comme elles sont d’excellentes pédagogues, nous faisons des
efforts pour leur être agréables et réussissons dans toutes les matières. Une
compensation à la vie ordinaire.
    Étant donné que nous n’avons pas le temps de rentrer à
Golfe-Juan et que l’école de la colline ne possède pas de cantine, M me  Féraud,
la directrice, a consenti à ce que nous prenions notre repas de midi dans notre
classe à l’heure où les autres élèves repartent dans leurs familles.
    Seuls devant notre pupitre, nous sortons notre thermos, disposons
nos assiettes en carton, déplions nos couverts enroulés dans une serviette. Nous
sommes empruntés. Nous avons peur de tacher nos cahiers, de maculer le parquet,
de salir nos habits. Nous grignotons du bout des dents à l’affût d’un geste
maladroit, un œil sur le thermos, l’autre sur la timbale d’eau dangereusement
posée en équilibre sur le plan incliné du bureau. Nos gestes sont ceux d’un
démineur désamorçant une bombe. Nos fronts ruissellent de sueur.
    Le plus souvent, nous nous contentons du dessert. À ce
parcours du combattant contre la maladresse, pommes, bananes, oranges sont nos
plus fidèles alliées.
    Notre repas expédié, nous nous rendons dans la cour de
récréation où nous pouvons flâner avant que les grilles de l’école s’ouvrent
aux autres élèves.
    Là, nous nous sentons libres. Libres de faire voguer notre
imagination.
    — Cette nuit, j’ai rêvé que j’étais un oiseau. Je
volais au-dessus d’une maison.
    — Moi aussi. La tienne était comment ?
    — Toute petite avec une cheminée. Elle avait un jardin
plein de fleurs.
    — Quelles fleurs ?
    — Des giroflées, des iris, des pivoines. Il y avait un
chien.
    — Des giroflées, des iris, des pivoines, un chien ?
C’est drôle, Pablito, j’ai fait le même rêve.
    Nous faisons les mêmes rêves, rions au même moment, avons
les mêmes élans, les mêmes attitudes, vivons les mêmes mystères. Nous sommes
copie conforme. Nous ne pouvons pas vivre l’un sans l’autre. Nous sommes des
siamois. Rien ne nous séparera.
     
    Nous sommes invités à déjeuner chez le pasteur Monod qui
préside au renom de l’école de la colline. Nous : Pablito, moi et Mienne, notre
mère.
    Mienne a remonté ses cheveux et mis un ensemble noir pour
faire plus convenable. Pour une fois, son sujet favori n’est pas Picasso mais
sa famille lyonnaise de lignée protestante.
    — Une famille honorable de chercheurs, de biologistes, de
scientifiques réputés. Des gens de la haute bourgeoisie qui ont su m’élever
dans le culte…
    Le pasteur et sa femme l’écoutent, indulgents.
    Dieu saura reconnaître les siens.
    Je me souviens de cette famille Lotte que ma mère
sanctifiait devant notre pasteur. Entre autres, il y avait Renée, la cousine de
ma mère, et sa fille Christine, une petite rondouillette qui portait des nattes
et des jupes plissées. Elles venaient en vacances à Golfe-Juan, descendaient
chez ma grand-mère maternelle et, l’après-midi, venaient nous rejoindre à la
plage où les accueillait Mienne et son exubérance.
    J’avais honte, honte de cette ostentation, honte de notre
pauvreté lorsqu’elles nous invitaient à aller au restaurant ou à partir avec
elles en vacances. Nous devions refuser pour la bonne raison que nous ne
pouvions leur rendre la pareille.
    Elles pensaient sans doute que ma mère était pingre.
    S’appeler Picasso et être sans le sou ne peuvent se
conjuguer ensemble.
     
    — Madame, venez vite ! Marina a perdu connaissance !
    Dans un brouillard, j’entends Pablito qui sanglote. En toile
de fond, la voix de M me  Féraud :
    — Allongez-la ! Desserrez le col de sa chemise. Frictionnez-lui
le cou !
    Ces évanouissements  – que M me  Féraud
appelait des malaises d’angoisse  – me prenaient de plus en plus souvent. Un
voile blanc passait devant mes yeux, mes oreilles bourdonnaient et mon front
dégoulinait de sueur. Ni Pablito ni moi ne voulions en parler à notre mère. Nous
savions ce qu’elle allait me dire : « C’est l’âge », « Tu t’écoutes
trop », « Tu as mangé quelque chose qui t’a fait mal », « Tu
me rends la vie impossible ».
    Malgré tout, elle m’emmena consulter et, lorsque le médecin
lui annonça que je développais une tuberculose, elle fit prévenir

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