Grand-père
mon père qui
lui signala qu’il n’en croyait pas un mot. Pour lui, c’était une ruse pour lui
soutirer de l’argent et soutirer de l’argent à son père.
Nice. Le professeur Barraya m’a admise dans son service à l’hôpital
Pasteur où je séjournerai plusieurs fois pour des périodes de trois semaines à
un mois. Je ne pèse plus que trente kilos et je suis squelettique. Allongée sur
mon lit, je fixe la poche de Rimifon et de P. A. S. qui, lentement, s’écoulent
dans mon bras.
Une goutte, deux gouttes, trois gouttes… Surtout ne pas
bouger. Si l’aiguille se retire de la veine, l’infirmière va devoir repiquer. Mes
bras sont couverts d’ecchymoses.
Une goutte, deux gouttes, trois gouttes… Encore
quatre-vingt-sept gouttes et je pourrai me lever pour faire ma toilette. Après
ce sera l’heure de la cure : deux heures à rester allongée en regardant le
plafond. Après, ce sera l’heure du déjeuner. Après, ce sera…
Le temps me semble long.
Pablito est interdit de visite mais, au-dessus de mon lit, est
punaisé un dessin qu’il a fait : une marchande de légumes sur le marché de
Nice. C’est son dernier dessin. Il n’y en aura plus d’autres. À force de lui
dire qu’il avait le talent de son grand-père, ma mère l’a dégoûté. Il a rangé
pour toujours ses crayons.
Ma mère vient me voir. Un de ses compagnons l’a amenée en
voiture. Elle m’annonce qu’elle ne pourra pas rester longtemps. Elle m’apprend
qu’elle a réussi à louer l’appartement de la rue Chabrier. Elle a trouvé, toujours
à Golfe-Juan, un rez-de-jardin dans une villa : la villa Habana .
— C’est comme chez Picasso, déclare-t-elle. Des
fenêtres on peut apercevoir la mer.
— Je pourrais avoir un chien ?
— Ça coûte cher. On n’a pas les moyens.
— Et un chat ?
— On verra.
Un coup de klaxon en bas sur le parking. Elle dresse la tête
et me dit :
— On m’attend. C’est l’heure de nous quitter. Sois sage.
Aucune nouvelle de mon père. Pas une seule fois il n’est
venu me voir.
Je fête mes neuf ans.
Le Dr Barraya, choqué de découvrir que mon cas social
équivaut à celui d’un enfant de la DDASS, a décidé d’écrire à mon grand-père
pour lui indiquer que mon état est sérieux et que je dois impérativement partir
en convalescence à la montagne. Déjà, il a pris les devants et m’a inscrite
dans un centre pour enfants situé à Villard-de-Lans dans le département de l’Isère.
La lettre est sèche, sans ambages, brutale.
La réponse n’arrivera pas tout de suite. Picasso a d’autres
chats à fouetter. Ma santé peut attendre.
Je proteste. Je ne veux pas quitter Pablito. J’ai besoin de
lui. Il a besoin de moi. Si l’on m’envoie là-bas, je ne me soignerai pas, je
ferai une fugue, on ne me retrouvera pas.
Le Dr Barraya tente de m’apaiser. Je ne veux rien entendre. Si
l’on me sépare de mon frère, je me laisserai mourir.
Comment les choses se sont-elles passées ? Le Dr
Barraya a-t-il envoyé une seconde lettre à mon grand-père ? Mon père
a-t-il intercédé auprès de lui ? J’opterai pour une autre hypothèse. Je
pense que mon grand-père, honteux d’être mis en cause dans une affaire qui
risquait de faire de l’ombre à Picasso, décida alors de faire un tir groupé en
proposant que Pablito m’accompagnât à Villard-de-Lans.
Le grand-père idéal qui, pour la galerie, ne refuse rien à
ses petits-enfants.
Villard-de-Lans, les pâturages, l’air pur, le bon lait, le
bon pain, le bon beurre remettent mes poumons à neuf. Seule avec Pablito qui me
suit comme une ombre, je me sens libre comme je ne l’ai jamais été. Après
toutes ces années de prison entre une mère, un père et un grand-père qui ne
pensent qu’à eux, j’ai besoin de m’extérioriser. Mes victimes : la
directrice et le directeur de la maison d’enfants. Je leur raconte tout.
— Mon grand-père voulait m’envoyer en Espagne, Pablito,
en Union soviétique. Ma mère lui a fait un procès.
Je suis une commère. Rien ne peut m’arrêter.
Psychanalyse sauvage, je sors tout ce que j’ai sur le cœur. Tout
ce qui m’a fait peur.
Affolée, la directrice téléphone à ma mère pour la prévenir.
— Il faut lui apprendre à ne pas dire les choses. Cela
peut porter préjudice à Picasso.
Ma mère prend le relais. Quand il s’agit de Picasso, elle
est intarissable.
— Ses petits-enfants sont sacrés pour lui. Il voulait
les
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