Grands Zhéros de L'Histoire de France
dispositions physiques et intellectuelles particulières comme la paresse, la résistance au sommeil, à l’alcool et à la syphilis. Cela tombait bien, Léon présentait justement sous leur forme la plus aboutie toutes ces qualités de parfait raté. Il commence donc à écumer les tripots, travaille son « look » de dandy, s’endette partout où il passe, en particulier chez les tailleurs, les chausseurs et les restaurateurs, devient « ce prince charmant des Mille et Une Nuits parisiennes qui ne trouvait pas assez de fenêtres par où jeter son argent (30) »
En 1826, estimant que l’on ne peut être le fils de Napoléon I er sans posséder un titre de noblesse, il s’« autodécerne » le titre de comte, dessine son blason et fait réaliser des cartes de visite au nom de « comte Léon ». Puis, muni de ce patronyme aristocratique qui devrait en imposer au moins un temps à ses futurs prêteurs, il dilapide l’argent à peine emprunté, court la gueuse, festoie, joue, perd au jeu (il ira jusqu’à perdre quarante-cinq mille francs en une nuit !), se fait admettre au très sélect club du Bicarbonate (Bambocheurs Impénitents Casseurs de Réverbères Bretteurs Ombrageux Noceurs Assoiffés Trousseurs Effrontés), où sa candidature ne pouvait manquer de faire l’unanimité ! Dans Paris, où il commence à être connu comme le loup blanc, d’autant qu’il est le sosie de son père, on le surnomme l’« Aiglon des boulevards ». En 1828, alors il qu’il n’a pas vingt-deux ans, l’Aiglon des boulevards est déjà quasiment sur la paille.
Notre zhéro a beau se la couler douce, cela ne l’empêche pas de se rengorger à tout bout de champ des exploits de son glorieux père. Frustré de ne pas être à sa hauteur et furieux de ne savoir employer son énergie autrement que dans les plaisirs, il se montre extrêmement irritable, impétueux. Son sang corse lui bout facilement dans les veines et il prend la très mauvaise habitude de se battre en duel pour un oui ou pour un non. À la suite d’une dispute au cours d’une partie de cartes, il se bat au pistolet contre l’ancien aide de camp du duc de Wellington et le tue. Son adversaire aurait-il eu le malheur de prononcer un mot qui fâchait… tel que « Waterloo » ? Allez savoir ! Léon pouvait démarrer au quart de tour pour des motifs bien plus futiles.
Après les Trois Glorieuses, il a enfin l’occasion de s’illustrer sur le terrain militaire, ce qui, de son propre aveu, aurait été sa vocation si la carrière de son père dans les armes ne l’avait découragé à tout jamais de vouloir y briller à son tour. Proclamé chef de bataillon de la garde nationale, « il se sent enfin le fils de l’Empereur ». Il a trente-cinq ans, ressemble à son père comme deux gouttes d’eau tout en étant plus grand et en ayant l’air martial du soldat imbu des exploits qu’il n’a pas encore eu l’occasion d’accomplir. Derrière lui, les membres de la garde nationale se prennent tous pour des grognards de la vieille garde.
Naturellement, cette situation à peu près stable ne pouvait pas durer. Au bout de vingt mois à battre le pavé parisien en se prenant pour Murat à Pratzen, Léon est suspendu de son grade dans la garde nationale, pour refus de service, et révoqué. Mais il passe directement de la caserne à la prison, car il est à nouveau criblé, de dettes et cette fois ses créanciers déchaînés contre lui sont parvenus à le faire mettre sous les verrous. Emprisonné à Clichy, Léon passe le temps en jouant du cor de chasse dans sa cellule et compose des poèmes : « En ce lieu, je ris et je dors bien comme si je ne devais rien. Et zon, zon, zon. Vive la prison où la vie est si bonne. » Si Léon n’était pas Napoléon, de toute évidence, il n’était pas Rimbaud non plus !
Notre zhéro n’est pas encore quadragénaire que sa coupe est déjà pleine et que nous pourrions nous en tenir là. Mais Léon nous réserve encore quelques surprises, à commencer par celle-ci : pendant qu’il est en prison, son oncle, le cardinal Fesch, qui espère encore pouvoir faire quelque chose de ce bon à rien, a une idée lumineuse dont nos lecteurs désormais instruits des principales qualités de Léon pourront juger de la pertinence. Il lui propose d’entrer dans les ordres ! C’est dire s’il connaît son homme ! Le comte Léon dans les ordres ? Même s’il distribue généreusement son argent et celui des autres et pratique
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