Grands Zhéros de L'Histoire de France
devoir le faire réellement. Léon, c’est du caviar, la providence du collectionneur de nuls ! Quoi qu’il entreprenne, cela tourne mal ! Et ses échecs sont d’autant plus accablants qu’ils sont, par la force des choses, mis en balance avec les succès fulgurants de son papa. À trente-trois ans, âge auquel Léon sortit de deux ans de prison pour dettes, Bonaparte était, lui, Premier consul, à quelques mois d’être sacré empereur des Français à Notre-Dame. Là où Napoléon connaîtra une gloire ascendante, y compris dans l’exil à Sainte-Hélène, qui viendra ajouter la couronne du martyre à sa couronne de lauriers, son fils vivra une lente descente aux enfers illustrant magistralement la phrase de son propre père : « On peut s’arrêter quand on monte, jamais quand on descend ! » Et, en effet, jamais Léon ne cessera de dégringoler, comme si, le père ayant accaparé toute la gloire de son siècle, il n’était plus resté au fils d’autres terrains pour s’illustrer que ceux de la médiocrité, du tapage, du vice, de l’escroquerie et, pour finir, du caniveau.
Que sa progéniture ne soit pas à sa hauteur, Napoléon lui-même en pressentait le risque. « Le génie ne se transmet pas, disait-il, depuis que le monde est monde, il n’y a pas eu, que je sache, deux grands poètes, deux grands mathématiciens, deux grands conquérants, deux monarques de génie dont l’un soit le fils de l’autre. » Cela étant, quand bien même l’Aigle ne s’attendait pas à engendrer son alter ego, il n’aurait probablement jamais imaginé, même dans ses pires cauchemars, donner naissance à un vilain petit canard de l’engeance de Léon. Grâce au ciel, Napoléon I er mourut avant que Napoléon Zéro ne commence à déraper sérieusement.
La naissance du petit Léon s’était pourtant déroulée sous des auspices prometteurs, puisqu’il voit le jour le 13 décembre 1806, rue de la Victoire, division du Mont-Blanc à Paris, deux mois après la grande bataille d’Iéna remportée par son empereur de père. Victoire, Mont-Blanc, Iéna, empereur… autant de mots annonciateurs d’un avenir, radieux. D’autant que Napoléon, à qui cette heureuse nouvelle parvient quinze jours plus tard à Pultusk, en Pologne, est fou de joie lorsqu’il apprend la naissance de son premier enfant et qui plus est d’un fils. Marié depuis bientôt onze ans à Joséphine, il n’avait toujours pas de descendance et se croyait stérile, son épouse ayant pour sa part deux enfants, Eugène et Hortense. La naissance de Léon vient donc lui confirmer que le problème ne vient pas de lui, mais bien de sa femme. C’est à compter de ce jour que germera dans son esprit l’idée de répudier Joséphine. Mais pour l’heure, emporté par l’enthousiasme, l’Empereur chantonne et prend un bain, signes caractéristiques de son excellente humeur. Le lendemain même, il rencontrera Marie. Walewska, jeune, belle et héroïque Polonaise. Elle aussi lui donnera un fils, Alexandre, dont le destin sera nettement plus reluisant que celui de son demi-frère aîné.
Si sa naissance est accueillie par des transports de joie, au moins par son père, Léon démarre toutefois dans l’existence avec un gros handicap : il est un enfant naturel, ce qui change tout ! Son acte de naissance indique d’ailleurs : « de père absent ». Puisque cet enfant est un « bâtard » qui jamais ne pourra prétendre succéder à son père à la tête de l’Empire, Caroline Murat, sœur de Bonaparte, suggère de ne lui donner que la moitié du prénom paternel, Léon, nom de baptême qui correspond également à la moitié d’Éléonore, prénom de sa mère. Un enfant naturel, de père absent, considéré comme la demi-portion de chacun de ses géniteurs… voilà qui de nos jours suffirait amplement à expédier Léon sur le canapé de quelque psychanalyste lacanien, aux yeux duquel le seul fait pour le petit garçon de porter un prénom amputé de moitié, pour ne pas dire « castrateur », viendrait excuser tous les débordements ultérieurs de son existence. Ajoutons au pédigree de Léon un beau-père cocu et repris de justice dont nous dirons quelques mots par la suite, et l'on admettra que son démarrage dans la vie n’était finalement pas aussi reluisant qu’il en donnait l’apparence. Cela ne s’arrangea guère avec le temps, puisque, déjà privé de père, Léon sera abandonné par une mère indifférente à son sort : «
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