Hamilcar, Le lion des sables
ne pouvait être que la vérité et nul ne se
hasarda à la contester. Durant dix jours, ils prirent leur mal en patience,
espérant chaque soir qu’au petit matin ils seraient réveillés par les
trompettes annonçant l’arrivée de Matho et des siens. S’il n’était pas encore
là, c’est, se disaient-ils, qu’il avait dû retarder son départ afin de ne pas
dégarnir dangereusement ses propres positions. Les Carthaginois ne se montraient
guère. Certes, on voyait leurs sentinelles en faction sur les hauteurs mais ils
n’avaient pas cherché à attaquer les rebelles, voire à envoyer des patrouilles
la nuit, à proximité des tentes.
Ils se
contentaient d’être là, comme une menace invisible planant au-dessus des hommes
de Spendios.
Au bout du
quinzième jour, une sourde colère s’empara des mercenaires dont les rations
avaient été rigoureusement diminuées. Ils se rassemblèrent et réclamèrent à
grands cris leurs chefs. Ceux-ci parurent, la mine déconfite.
— Où
sont Matho et ses hommes ? hurlèrent plusieurs voix courroucées.
— Nous
les attendons d’un jour à l’autre, rétorqua Spendios. Ils ne peuvent pas ne pas
venir.
— C’est
ce que tu prétends.
— Je
ne vous ai jamais menti, vous le savez. Je vous supplie de me faire confiance.
— Trois
jours, nous te donnons trois jours, pas un de plus.
À la fin
du délai fixé, les mercenaires se rassemblèrent à nouveau et accablèrent de
sarcasmes Spendios dont Autaritos prit la défense avec éloquence et conviction.
Zarzas, lui, fut plus prudent, comme s’il estimait que son heure n’était pas
encore venue. Les hommes se séparèrent sans avoir rien décidé.
Furieux,
certains, torturés par la faim, abattirent leurs montures et les dévorèrent
après avoir bu avidement leur sang. Une véritable frénésie de ripaille s’empara
de tout le camp et les mercenaires banquetèrent durant plusieurs jours et
plusieurs nuits, puisant dans leurs réserves tout ce qu’il était possible de
boire et de manger. Ivres, quelques-uns dansèrent pendant des heures avant de
s’écrouler dans la poussière. Les autres se contentaient de manger, se faisant
parfois vomir pour pouvoir continuer à ingurgiter des aliments.
Au vingt
et unième jour, la fête cessa. Il n’y avait plus rien à manger et à boire. Trop
faibles pour faire le moindre effort, les hommes demeuraient couchés, parlant à
peine, attendant avec impatience la rosée du matin pour humecter leurs lèvres
desséchées d’un peu d’eau. Au bout du trentième jour, l’on assista à des scènes
d’horreur. Quelques mercenaires, tenaillés par la fin, tuèrent leurs esclaves
et entreprirent de les dévorer en dépit des reproches de leurs officiers. C’est
le moment que choisit Zarzas pour se mettre en avant. Ayant convoqué tous les
hommes capables de se tenir debout, il leur tint le discours suivant :
— Il
ne faut pas se bercer d’illusions, Matho ne viendra pas à notre secours. Je le
déplore d’autant plus qu’il est l’un de mes compatriotes. Il a sans doute été
lui-même encerclé. C’est la seule raison que je vois à son absence.
— Que
suggères-tu ? firent plusieurs Gaulois dont il avait gagné l’amitié.
— Envoyons
des émissaires à Hamilcar Barca. Après tout, il a été notre chef en Sicile et
ne peut être insensible au sort de ses anciennes recrues. Peut-être
acceptera-t-il de nous pardonner nos fautes et de nous rendre la liberté si
nous jurons de ne plus porter les armes contre Carthage.
— Spendios,
tonna un mercenaire grec, tu disais jadis que ceux qui formulaient de tels
propos étaient des traîtres qu’il fallait châtier. Or tu n’as rien dit durant
le discours de Zarzas. Es-tu d’accord avec lui ?
— La
mort dans l’âme, répliqua le Campanien, je ne puis contredire notre valeureux
ami. Mes propos d’hier ne sont plus valables aujourd’hui. Nous sommes comme un
poisson pris dans une nasse et nous n’avons aucune chance de pouvoir nous
échapper. Il n’est peut-être pas inutile de savoir quel sort nous réserve
Hamilcar. Envoyons-lui une ambassade.
Les
émissaires désignés par les mercenaires se présentèrent à l’entrée du défilé et
furent conduits, sous bonne garde, jusqu’au camp carthaginois. Là, un aide de
camp les informa que le général en chef était prêt à recevoir leurs dix
principaux chefs, dont il énuméra les noms, à condition qu’ils vinssent
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