Hamilcar, Le lion des sables
d’un coffre un rouleau de papyrus qu’il tendit à Magon :
— Tu
reconnais l’écriture de ton père. Il m’a confié ce document pour que je te le
remette un jour quand je le jugerais bon. Ce moment est venu. Il contient toute
l’histoire de cet épisode funeste. J’ai longtemps hésité avant de te révéler
son existence. Mais, en le faisant, je crois agir pour le bien de Carthage et
cela me console des fatigues de cet épouvantable voyage.
Magon lut
attentivement le document et le reposa.
— Carthalon,
je vais te livrer sous le sceau du secret une information qui peut t’être
utile. Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais pas fait le rapprochement entre cet
événement et un autre que tu ignores et dont Himilk ne parle pas dans son
texte. Maintenant, je comprends qu’ils sont liés l’un à l’autre.
— Je
t’écoute avec attention et impatience.
— Te
souviens-tu de Marcus Atilius Regulus ?
— C’est
ce consul romain qui avait été fait prisonnier, qui partit plaider à Rome pour
la poursuite de la guerre, puis revint, conformément à la parole donnée à
Carthage, avant de disparaître mystérieusement. L’affaire, en son temps, avait
fait beaucoup de bruit. Mon père avait accusé les Barca d’être à l’origine de
sa fuite mais Adonibaal le ridiculisa devant le Sénat et il fut mis dans
l’impossibilité de prouver ses affirmations.
— Je
puis maintenant te révéler l’exacte vérité. Marcus Atilius Regulus a
effectivement fui Carthage grâce aux Barca. Himilk fut chargé de le conduire
jusqu’à l’île des Lotophages où il fut hébergé par une tribu amie. Bien
entendu, Adonibaal avait dû s’arranger pour que des témoins assistent, en
secret, au départ de mon père et de son compagnon et puissent, le cas échéant,
jurer par tous les dieux que l’intendant, soudoyé grassement par le consul,
avait agi de sa propre initiative. Voilà pourquoi, lorsque les prêtres sont
venus chercher mon fils, son grand-père a dû se plier aux volontés des Barca et
offrir en sacrifice la chair de ma chair, le sang de mon sang.
— Tu
as percé le secret de cette ténébreuse affaire. Tu vois combien il est injuste
de faire porter à Carthage le poids d’une faute qu’elle n’a pas commise.
— Cela
ne me console pas de la perte de mon fils mais je sais désormais qu’il
m’incombe le devoir de le venger.
— Je
partage tes sentiments et même plus. Ce que tu viens de me raconter est d’une
importance politique capitale. Ainsi, les Barca, qui osent se prétendre les
chefs du parti anti-romain, ont sauvé le plus farouche des adversaires de
Carthage, Marcus Atilius Regulus. Il y aurait là de quoi surprendre plus d’un
de leurs partisans qui ne cessent de vanter leurs mérites et leur inlassable
dévouement à leur cité.
— Carthalon,
je suis sûr que tu ne manqueras pas d’exploiter cette information dès que tu
seras de retour dans notre ville.
— Je
risque fort de te décevoir. Faute de preuves tangibles, nul ne voudra nous
croire et attribuera mes accusations à une volonté de vengeance suspecte. Je
sais que Hamilcar a brûlé tous les documents écrits par ton père, hormis celui
qu’il m’avait confié, et je suppose que tu n’en as conservé aucun.
— Tu
raisonnes justement.
— On
nous accusera donc d’avoir tout inventé si je produis cette pièce dont tu es le
seul à pouvoir garantir l’authenticité mais que des dizaines de témoins
affirmeront être un faux.
— Je
ne pourrai donc jamais venger mon fils.
— Tu
as tort de penser ainsi. Tu as des amis et ils sont prêts à t’aider.
— J’aimerais
les connaître.
— Tu
en as un devant toi et il représente tous ceux qui, au Sénat de Carthage,
s’inquiètent des menées aventureuses d’Hamilcar et de sa clique. Sa soif de
conquêtes risque de provoquer à nouveau la guerre avec Rome et nous ne sommes
pas en mesure de nous permettre un nouveau conflit. Il faut donc le mettre hors
d’état de nuire définitivement le plus rapidement possible.
— À
part le poison, qui éveillera les soupçons des siens, je ne vois pas d’autre
moyen. Hamilcar est prudent, très prudent et je comprends maintenant pourquoi,
lorsqu’il se trouve en tête à tête avec moi, il prend soin d’avoir toujours son
glaive à portée de main. Je l’ai encore constaté tout à l’heure. Inutile de
circonvenir certains de ses proches. Ses gardes et ses esclaves lui sont
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