Hamilcar, Le lion des sables
préféra
abandonner les deux ports et regagner Carthage. Quand le fils d’Adonibaal
l’apprit, il s’emporta violemment contre son adjoint devant son
état-major :
— Cet
imbécile d’Hannon nous prive de deux mouillages excellents. Désormais, par sa
faute, nous ne disposons plus d’aucune base de ravitaillement sur l’île. Tout
devra être acheminé à partir de Carthage et cela nécessitera d’affréter une
flotte considérable qui attirera les convoitises des Romains. Je crains le
pire. Himilk, toi qui es mon intendant depuis des années, avons-nous assez de
fourrage et de vivres pour affronter la mauvaise saison ?
— Je
redoutais ce qui vient de se produire et j’avais donc pris certaines
dispositions. Nous pouvons tenir sans problème jusqu’au printemps. Mais, à ce
moment-là, nous aurons épuisé toutes nos provisions et, si nous ne recevons pas
un convoi de ravitaillement en provenance de Carthage, le pire sera à craindre.
— Je
te charge d’avertir le Conseil des Cent Quatre de cette situation. Que tous
fassent diligence ! Nous attendrons avec impatience ton retour avec la
flotte que le Sénat nous enverra.
Cette
année-là, l’hiver fut exceptionnellement rude. Après des vents violents et des
pluies glaciales, la neige tomba en abondance sur les hauteurs d’Héircté. Pour
Hamilcar et les Carthaginois de sa suite, ce fut une véritable surprise. Au
début, ils s’amusèrent comme des enfants avec les flocons blancs qui leur
semblaient être des fleurs tombant du ciel. Bien vite, ils déchantèrent. Le
froid les transperçait et tous n’eurent plus qu’une seule préoccupation :
rester à l’abri et se réchauffer auprès de grands feux entretenus en permanence
par les soldats. Même les Gaulois, pourtant habitués à de rudes conditions
d’existence, grelottaient et pestaient contre les frimas.
Durant
toute cette période, les hostilités furent suspendues. Si une patrouille
carthaginoise croisait une patrouille romaine, les hommes s’observaient de loin
et s’évitaient soigneusement. Tous n’avaient qu’une hâte : retrouver leurs
positions et un bon feu. L’idée de se battre ne les effleurait même pas. De
part et d’autre, les officiers en avaient pris leur parti. Ils savaient qu’ils
devaient ménager leurs soldats dans la perspective des batailles à venir et que
des joutes dans la neige n’auraient eu aucun effet sur le déroulement de la
guerre.
Dès que
revint la belle saison, Hamilcar posta des sentinelles tout le long de la côte
afin qu’on lui signalât l’arrivée du convoi en provenance de Carthage. Chaque
jour, il questionnait avidement ses officiers pour savoir si l’on avait aperçu
des voiles à l’horizon. Un matin, l’un de ses aides de camp, Bostar, se
présenta devant lui, la mine défaite :
— Qu’as-tu ?
Serais-tu souffrant ?
— Fils
d’Adonibaal, je dois t’annoncer une très mauvaise nouvelle. La flotte conduite
par Hannon le timoré a essuyé une terrible défaite au large des îles Aegates.
— Qu’entends-tu
par terrible défaite ?
— Hannon
était à la tête de deux cents navires chargés de ravitaillement tant pour nous
que pour notre garnison d’Eryx. Comme il redoutait de croiser au large la
flotte de Caïus Lutatius Catulus, il a cherché refuge dans l’archipel des îles
Aegates où il a mouillé pendant quelques jours. Puis il a disposé ses navires
en une seule colonne, tous se suivant à la file, et s’est dirigé vers Eryx. Là,
il est tombé dans un véritable traquenard car le consul, qu’il croyait être en
pleine mer, l’attendait au débouché des îles, lui coupant la route sur sa
droite comme sur sa gauche. Ses premiers navires n’ont eu d’autre choix que de
se briser sur le rivage cependant que les autres tentaient de manœuvrer mais
étaient gênés par leur poids excessif. En quelques heures, Hannon a perdu cent
vingt trirèmes et quinquérèmes. Cinquante ont coulé, soixante-dix ont été
capturées avec leurs équipages. Les autres devraient être prochainement à notre
hauteur puisque l’un de ces bateaux, plus rapide que les autres, est venu en
avant-garde, nous apporter la nouvelle de cette bataille.
— Au
moins allons-nous avoir un peu de ravitaillement. Nous en avons bien besoin.
— Que
faut-il faire d’Hannon le timoré ?
— Dès
qu’il sera là, tu le mettras aux arrêts. Cet idiot risque fort de me priver de
ma victoire finale. Il a commis une grave
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