Hannibal, Sous les remparts de Rome
en fera preuve
aussi envers les esclaves qui vous accompagnent et qui recevront, pour prix de
leurs souffrances, leur affranchissement. Vous ne serez pas lésés pour autant
car, pour chacun de vos serviteurs ainsi libérés, vous serez autorisés à
choisir deux prisonniers parmi les milliers de captifs que nous ferons.
— Hannibal,
tonna Matho, un chef libyen, je ne mets pas en doute ta parole car tu es un
homme noble et généreux. Mais qui nous garantit que le Conseil des Cent Quatre
tiendra les promesses que tu nous fais ? Nous n’avons pas oublié
l’ingratitude qu’il manifesta envers les mercenaires lors de la précédente
guerre.
— Je
comprends ta méfiance et je suis heureux que tu aies eu le courage de me poser
la question qui brûle les lèvres de beaucoup d’entre vous. Je vous demande de
me croire et je fais le serment devant Melqart, le dieu de mes pères, d’honorer
cet engagement. Pour vous le prouver, j’ai pris la précaution d’avoir à mes
côtés un agneau et un morceau de rocher arraché aux Alpes. Si vous n’obtenez
pas ce qui vous est dû, alors, que Melqart me brise la nuque comme je vais
fracasser la tête de cet animal avec cette pierre.
Joignant
le geste à la parole, le fils d’Hamilcar offrit à son dieu le sacrifice annoncé.
Le sang qui jaillit de la tête de l’agneau coula en fines gouttes sur sa
cuirasse dorée cependant que ses hommes faisaient cercle autour de lui et que
Matho et les siens le portaient en triomphe.
Les cris
de joie en provenance du camp carthaginois semèrent la terreur chez les Romains
et Publius Cornélius Scipion eut beaucoup de peine à rassembler son infanterie
et à la disposer en ordre de bataille. Laissant à ses officiers le soin de
rétablir le calme, il se porta, avec la cavalerie et les jaculatores [23] ,
à la rencontre de l’adversaire. Hannibal, lui, avait placé au centre de son
armée la cavalerie lourde carthaginoise flanquée sur les côtés des escadrons
numides fournis par Syphax et Masinissa. Les fantassins romains se heurtèrent à
cette masse compacte et, dans l’impossibilité de lancer leurs traits,
refluèrent en désordre vers les « turmes », les couloirs ménagés
entre les unités montées de Scipion. C’est alors que les Numides débordèrent
sur la droite et la gauche la cavalerie romaine, massacrant les jaculatores,
puis tournant bride à la vitesse de l’éclair pour attaquer sur l’arrière la
cavalerie romaine qui pliait sous la charge furieuse des Carthaginois.
Grièvement blessé d’un coup de lance, le consul ne dut son salut qu’à
l’intervention de son fils, le jeune Publius, âgé d’à peine dix-huit ans,
auquel un esclave ligure avait signalé que son père, s’il n’était pas secouru,
risquait d’être fait prisonnier. Avec une centaine d’hommes, l’adolescent
enfonça les lignes ennemies et parvint à sortir son géniteur du piège qui se
refermait inexorablement sur lui. Dès qu’ils surent le consul sain et sauf, ses
officiers donnèrent l’ordre de sonner la
retraite. Profitant de l’obscurité qui tombait, les légions se hâtèrent de
repasser le pont fortifié avant de l’incendier et se réfugièrent à l’abri de la
citadelle de Placentia.
Hannibal,
lui, les suivit sans presser le pas, cherchant un gué qui lui permettrait de
traverser dans de bonnes conditions le Pô et d’établir un camp. Celui-ci fut
bien vite envahi par la foule des chefs gaulois venus lui offrir leurs services
maintenant que la fortune semblait tourner du côté des Carthaginois. En
quelques jours, son armée grossit de plusieurs milliers d’hommes. Il choisit
pour site de son quartier général la bourgade de Clastidium [24] dont les portes
lui furent ouvertes par son commandant. Ce dernier, un nommé Dasius, originaire
de Brundisium [25] ,
était jusque-là l’allié des Romains mais il rêvait de voir ses compatriotes du
sud de la péninsule délivrés du joug de la cité de Romulus par les Puniques.
Pour le récompenser, le fils d’Hamilcar lui fit de riches présents et incorpora
ses soldats dans ses troupes, les assurant qu’ils seraient traités sur un pied
d’égalité avec leurs nouveaux compagnons de combat.
Mieux, il
offrit un banquet en l’honneur du chef transfuge afin de lier connaissance avec
lui. Allongés sur de somptueux lits de repos, les deux hommes conversèrent tard
dans la nuit :
— Noble
Carthaginois, je suis heureux de servir désormais sous les ordres
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