Hannibal, Sous les remparts de Rome
sous peu en dépit des soins que leur prodiguaient leurs
cornacs. Dans ces conditions, il lui sembla périlleux de se lancer à la
poursuite de Tibérius Sempronius Longus dont il se contenta d’occuper le camp,
plus confortable que le sien, pour permettre à ses hommes de prendre du repos
et de reconstituer leurs forces. Une dizaine de jours plus tard, il fit route
sous la neige, vers l’une des principales villes des Boïens, Mutina, où il prit
ses quartiers d’hiver. Les jours étaient désormais trop courts pour pouvoir
mener des opérations importantes et ses intendants l’avaient averti que ses
réserves de grains et de fourrage commençaient à s’épuiser. Il dut donc, bien
malgré lui, se résoudre à une inaction pesante et non exempte de dangers.
***
Le premier
péril tenait à ce que Rome bénéficiait de la sorte d’un répit précieux pour
reconstituer ses légions sous les ordres des deux nouveaux consuls, Cnaeus
Servilius Geminus, un patricien imbu de sa supériorité, et Caïus Flaminius
Nepos, un ancien tribun de la plèbe réputé être un esprit impie. Contraints
d’unir leurs efforts, ils avaient réussi à lever cent mille hommes répartis en
onze légions dont deux furent acheminées à Ariminum et deux autres à Arretium [27] ,
barrant à Hannibal la route de Rome par l’Étrurie ou par l’Apennin.
Le second
danger venait des Gaulois qui se révélaient être des alliés incommodes et
versatiles. Leurs chefs se plaignaient de ce que, lors de la bataille de la
Trébie, le général punique avait délibérément sacrifié ses alliés ligures et
boïens pour conserver intacts ses contingents carthaginois. Habilement
travaillés par des espions romains, ils prirent contact avec les nouveaux
consuls pour savoir à quelles conditions ceux-ci achèteraient leurs services.
Certains de leurs messagers ayant été interceptés par les cavaliers de
Maharbal, ce dernier fît exécuter plusieurs commandants gaulois soupçonnés de
haute trahison. L’insécurité dans Mutina était telle que certains firent
circuler une rumeur étrange : Hannibal redoutait tant une défection de ses
alliés qu’il ne circulait désormais plus que grimé, portant différentes
perruques dont il changeait chaque jour, afin de dissimuler son identité. On
murmurait que son frère Magon lui-même, ayant abordé dans la rue le chef
punique ainsi travesti, ne l’avait pas reconnu et avait menacé de faire un
mauvais parti à cet homme qui prétendait être le fils d’Hamilcar Barca. C’était
là une pure affabulation mais elle donna lieu à quelques quiproquos savoureux.
Dans les rues de la capitale boïenne, des soldats carthaginois, trop richement
vêtus – ils avaient pris aux captifs romains de haut rang leurs
bagages – se voyaient interpelles par des solliciteurs qui les
couvraient de flatteries, croyant avoir affaire à Hannibal. Ce dernier dut,
pour dissiper tout malentendu, affecter de se montrer le plus souvent possible
en public.
Hélène
profita de ces incidents pour répéter à son amant qu’il devait à tout prix
s’éloigner de la Gaule cisalpine pour gagner le sud de la péninsule où
l’attendaient des alliés sûrs et dévoués. A force de caresses expertes et de
nuits d’amour particulièrement ardentes, elle parvint à le convaincre, à la
grande fureur de Maharbal. Connu pour son franc-parler, celui-ci apostropha son
supérieur :
— Tu
laisses une femme te dicter ta conduite. Jamais ton père, Hamilcar, n’aurait
commis une erreur pareille.
— Serais-tu
jaloux de ma bonne fortune ?
— En
aucun cas. Je suis un homme comme les autres et j’ai aussi une compagne choisie
parmi les prisonnières que j’ai faites. Toutefois, je prends soin d’en changer
toutes les semaines afin de ne pas m’attacher à elle et parce que je redoute
toujours qu’elle ne soit une espionne à la solde de nos ennemis.
— Tu
sais très bien que ce n’est pas le cas d’Hélène. Elle appartient à l’une des
plus illustres familles de Tarentum et Silénos, son compatriote, m’a confirmé
que les siens étaient connus pour avoir toujours tenu tête aux fils de la Louve.
— Je
n’en disconviens pas mais je n’aime pas que les femelles se mêlent des
questions militaires et politiques. Et que dira ton épouse Imilcé si des
esprits bien intentionnés l’informent de ta liaison avec cette femme ?
— N’aie
aucune crainte de ce côté. Nous avons passé ensemble un pacte
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